La mère : la critique du film (1954)

Drame | 1h37min
Note de la rédaction :
9/10
9
La mère, affiche reprise 2021 du film de Mikio Naruse

  • Réalisateur : Mikio Naruse
  • Acteurs : Kyôko Kagawa, Kinuyo Tanaka, Masao Mishima
  • Date de sortie: 01 Déc 1954
  • Année de production : 1952
  • Nationalité : Japonais
  • Titre original : Okaasan
  • Titres alternatifs : -
  • Scénaristes : Yoko Mizuki
  • Acteurs : Kinuyo Tanaka, Kiyoko Kagawa, Eiji Okada, Masao Mishima, Daisuke Kato, Chieko Nakakita
  • Directeur de la photographie : Hiroshi Suzuki
  • Monteur : Hidetoshi Kasama
  • Compositeur : Ichiro Saito
  • Producteurs : Ichiro Nagashima
  • Sociétés de production : Shintoho Film Distribution Committee, Toho Company
  • Distributeur : -
  • Distributeur reprise : Les Acacias
  • Date de sortie reprise : 9 juin 2021
  • Editeur vidéo :
  • Date de sortie vidéo :
  • Box-office France / Paris-Périphérie :
  • Box-office USA / Monde
  • Budget :
  • Classification : Tous publics
  • Formats : 1.37 / Noir et Blanc / Mono
  • Festivals et récompenses : Prix Blue Ribbon du meilleur réalisateur pour Mikio Naruse (1953) ; Prix Blue Ribbon du meilleur second rôle masculin pour Daisuke Kato (1953) ; Prix du film Mainichi du meilleur second rôle masculin pour Daisuke Kato (1953) ; Prix du film Mainichi du meilleur second rôle féminin pour Chieko Nakakita (1953) ; Prix du film Mainichi de la meilleure musique de film pour Ichiro Saito.
  • Illustrateur / Création graphique : © Tous droits réservés / All rights reserved
  • Crédits : © 1952 Toho CO, LTD. Tous droits réservés.
Note des spectateurs :

La mère est l’un des rares films japonais à être sorti en France dans les années 50. Signé Mikio Naruse, il ressort en France en juin 2021. Une première depuis 1954. A travers le destin d’une femme modeste mais affrontant l’adversité avec courage, La mère révèle toute la délicatesse et la sensibilité de son auteur.

Synopsis : Masako Takahara tient une modeste blanchisserie en périphérie de Tokyo. La vie est dure, et les dégâts de la guerre se font encore sentir. Mais Toshiko, sa fille ainée, est pleine de gaité et d’espoir. Et les moments de joie ne manquent pas : on sort au parc, on va au cinéma, on chante… Hélas, l’adversité est parfois très forte, et il est difficile de se nourrir ou de se soigner. Si la vie s’effondre peu à peu autour d’elle, Masako reste une mère de famille vaillante, toujours debout et souriante dans la tourmente.

La mère de Naruse (photo)

© 1952 Toho CO, LTD. Tous droits réservés.

La mère, le film qui révéla Naruse en France

Critique : C’est avec La mère qu’en 1954 les Français ont découvert Naruse, prélude à une lente familiarisation toujours inaccomplie. C’était sans doute un bon choix, bien qu’involontaire, tant le film a l’évidence des chefs-d’œuvre même si on peut lui préférer Nuages flottants, par exemple. Il faut dire qu’a priori le scénario, qui suit le quotidien d’une famille minée par les malheurs, a tout pour faire craindre un mélodrame larmoyant. Mais, on le sait, tout est affaire de style : Naruse, plutôt que de se concentrer sur les moments dramatiques et les souligner, les fait alterner avec de petites joies (un pique-nique, un concours de chant), voire des passages comiques, souvent assurés par le neveu que la mère du titre élève. D’une manière générale, le cinéaste pratique plus la gomme que le surligneur ; ainsi la mort du fils est-elle traitée en une ellipse osée ; celle du père est davantage vue par ses conséquences (la famille réunie comme tétanisée) que par les plans sur son corps, assez éloignés.

L’histoire que l’on suit pas à pas, dans ses détails précis et que Naruse aborde à égalité que les événements soient tragiques ou heureux (voir par exemple la leçon de repassage) s’inscrit dans un paysage très concret, en grande partie circonscrit par un horizon bouché : que ce soit la boutique étriquée ou la ruelle réduite à une portion rarement dépassée, le décor est un enfermement qui emprisonne des personnages sans avenir. Dans les intérieurs, Naruse s’ingénie à redoubler cet emprisonnement par de savants sur-cadrages. À cette clôture s’opposent les échappées dans la nature, rares moments de bonheur toujours liés à l’eau, à la rivière. Là, Toshiko la fille aînée et narratrice, sourit, rit, minaude, bref se comporte comme elle devrait pouvoir le faire la plupart du temps : Naruse s’attache à cadrer ce sourire et s’y attarder, tant il éclaire le film d’un rayonnement lumineux.

La mère de Naruse (photo 3)

© 1952 Toho CO, LTD. Tous droits réservés.

Mais Toshiko n’est pas l’héroïne : si sa voix off introduit et conclut le métrage, celui-ci est tout entier dédié à “La mère“, Masako, incarnée avec une grande finesse par Kinuyo Tanaka, merveilleuse actrice à la longue carrière qui tourna notamment avec Ozu et Mizoguchi. Mère courage, elle affronte des drames sans plainte ni révolte, en travaillant et veillant sur les autres. La comédienne excelle à exprimer en gros plans une série de sentiments, atteignant parfois l’ineffable : qu’elle regarde sa fille devenir une femme ou qu’elle donne le change à son mari mourant, son visage sait transmettre une émotion retenue, jamais excessive. En accord avec la mesure du cinéaste, Tanaka est, à elle seule, une raison de voir ce beau film. Mais pas la seule.

Si dans La mère Naruse ne pratique pas une mise en scène voyante, sa science du cadrage jonglant avec les gros plans et une savante scénographie collective, son attention aux détails et son extrême pudeur ravissent le spectateur. Pareillement le montage comme le scénario (écrit par Yoko Mizuki, qui collabora plusieurs fois avec Naruse, mais aussi Honda ou Ichikawa) dispersent des échos structurant le film avec discrétion mais efficacité : la tante coiffe deux fois une fille de Masako, à plusieurs reprises la narration est interrompue par un plan de linge séchant au vent, le dessin de Chako incarne dans ses reprises la manière dont elle considère sa mère, etc. Là encore, rien de démonstratif : on est dans l’allusif, la suggestion.

La mère de Naruse (photo 3)

© 1952 Toho CO, LTD. Tous droits réservés.

L’un des charmes de ce film tient au regard que Naruse porte sur ses personnages : attendri, jamais cynique ou distant, il ne cesse de décrire un monde dont les humains sont de perpétuelles victimes ; ainsi entend-on plusieurs fois évoquée la mort d’un fils, d’un père, d’un mari. C’est que la vie est dure pour ces pauvres gens ; d’où ce ton triste, désenchanté mais pas désespéré qui unifie ces destins sans misérabilisme. Travailler toujours, ne jamais se plaindre, rebondir malgré les obstacles : voilà la réponse que ce beau film donne à une question posée par Toshiko : « pourquoi les hommes naissent-ils ? ». La leçon n’est pas très joyeuse, mais elle a l’humanité de sa douce tristesse.

François Bonini

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La mère, affiche reprise 2021 du film de Mikio Naruse

© 1952 Toho CO, LTD. Tous droits réservés. Affiche : Les Acacias Distribution

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