Conte féérique allemand des années 50, La légende de la Forêt-Noire, aussi connu sous le titre Cœur de pierre est une réussite patente grâce à des moyens considérables et des images magnifiques sublimées par le procédé Agfacolor. Une belle découverte.
Synopsis : Le charbonnier Peter Munch travaille dans la Forêt-Noire. Pauvre, sale et négligé, il est la risée des habitants du pays, et la main de la belle Lisbeth lui est refusée. Il va alors demander de l’aide au bon esprit de la forêt. Ce dernier lui accorde la richesse, qui va hélas considérablement changer son comportement.
Le contexte de guerre froide
Critique : A la fin des années 40, la scission entre l’Allemagne de l’Ouest et de l’Est se concrétise avec la création de la RFA (République Fédérale d’Allemagne) le 23 mai 1949, puis celle de la RDA (République Démocratique allemande) le 7 octobre 1949. Dans ce contexte tendu de guerre froide, la lutte passe également par le contrôle de la cinématographie nationale. Ainsi, la compagnie est-allemande DEFA (Deutsche Film AG) est née en 1946 sur les ruines de la UFA (Universum Film AG) compromise avec le nazisme. La firme qui passe désormais aux mains de l’Etat – nous sommes ici en territoire communiste – récupère les magnifiques studios de Babelsberg situés dans la ville de Potsdam.
Si la DEFA a déjà produit des longs métrages durant la période d’après-guerre, La légende de la Forêt-Noire, également connu sous le titre Cœur de pierre (1950) est sa première vraie grosse production d’envergure. Pour preuve, le film utilise à nouveau le procédé couleur Agfacolor qui coûtait très cher à développer et qui était jusque-là réservé aux tournages des films soviétiques. Comme souvent dans le bloc communiste, les exécutifs du studio envisagent d’adapter sur grand écran un conte pour enfants très populaire. Leur choix se porte donc sur Das kalte Herz, écrit par Wilhelm Hauff en 1828.
Un sous-texte anticapitaliste fort à propos
Ce choix n’est aucunement anodin puisque le récit condamne explicitement l’appât du gain et les ravages de l’argent. Il ne fallait donc pas forcer trop le trait pour rendre le long métrage clairement anticapitaliste. Afin de se concilier le grand public, les producteurs font appel au réalisateur Paul Verhoeven (à ne pas confondre avec le cinéaste néerlandais des années 70-80) qui était un spécialiste des films musicaux et des films Heimat (œuvres folkloriques et pastorales situées souvent en Bavière). On retrouve d’ailleurs cette empreinte de manière évidente lors du premier quart d’heure de Cœur de pierre.
Si la beauté des images composées par le grand spécialiste de l’Agfacolor Bruno Mondi (il sera ensuite à l’origine des images kitsch de la mythique trilogie Sissi avec Romy Schneider) séduisent immédiatement la rétine, les premières scènes folkloriques peuvent légitimement inquiéter le spectateur contemporain par leur aspect kitsch. Les cinéphiles pourront toutefois admirer un premier plan-séquence virtuose où la caméra circule au milieu d’une centaine de figurants afin de présenter en seulement quelques minutes les principaux personnages. Une telle ambition visuelle se démarque donc déjà du tout-venant.
En réalité, le long métrage prend vraiment de l’ampleur lorsque l’aspect féérique prend le dessus sur le versant folklorique. Dès lors, la tendance Heimat s’efface pour laisser place à un conte de fées comme savaient si bien en produire les pays d’Europe centrale et de l’Est. Outre une narration parfaitement maîtrisée, La légende de la Forêt-Noire propose au spectateur des décors grandioses – tournés à Babelsberg – où le factice règne en maître au cœur de compositions picturales superbes. Certes, les effets spéciaux font leur âge, mais on notera beaucoup d’ingéniosité dans le mélange des procédés employés. Cela va d’animaux animés image par image à l’utilisation de mannequins et bien entendu d’effets de transparence réalisés à même la caméra.
Du mauvais usage des traditionnels trois vœux
En ce qui concerne l’intrigue, elle se fonde essentiellement sur le fossé social séparant un jeune charbonnier et la reine du bal qu’il rêve d’épouser. Pour cela, il dispose de trois vœux qui doivent lui permettre de parvenir à ses fins. Toutefois, comme le jeune homme les utilise mal, il se retrouve dans des situations catastrophiques, allant même jusqu’au meurtre. Il doit dès lors troquer son cœur contre un modèle plus archaïque constitué de pierre, d’où le titre. Dès qu’il est doté d’un cœur froid, le jeune homme peut devenir un redoutable homme d’affaires puisqu’il ne pense jamais aux conséquences de ses actes.
Joliment moral, le conte apprend donc aux enfants à se soucier des autres, à les aimer et les comprendre, et non à ne penser qu’à soi. Au-delà de cette dimension moraliste, Cœur de pierre séduit à tous les âges grâce à son usage habile du merveilleux. En matière d’interprétation, on peut signaler le charisme évident du jeune Lutz Moik et le talent des plus vieux briscards comme Paul Esser. Plus fragile est le jeu de l’héroïne interprétée par Hanna Rucker qui n’a pas fait une grande carrière par la suite.
Une hypothétique sortie provinciale en France
Réalisé avec des moyens impressionnants, La légende de la Forêt-Noire a été un carton dans les salles allemandes lors de sa sortie au mois de décembre 1950, réunissant plus de 9 millions de spectateurs germaniques. En ce qui concerne la France, le film serait sorti uniquement en province deux ans plus tard selon le site Encyclociné. Toutefois, ces informations sont difficilement vérifiables puisqu’aucune affiche ne semble avoir été confectionnée pour l’occasion.
Depuis, le métrage est devenu culte dans les pays germaniques, mais il a fallu attendre sa sortie en DVD et blu-ray chez Artus sous le titre Cœur de pierre (La légende de la Forêt-Noire) pour que les cinéphiles puissent le découvrir dans des conditions optimales.
Critique de Virgile Dumez
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Paul Verhoeven (2), Lutz Moik, Hanna Rucker, Paul Esser
Mots clés
Cinéma allemand, Contes de fées, Films anticapitalistes, Artus Films