Kompromat ose braquer ses caméras sur la Russie autocrate actuelle, mais n’en tire qu’un thriller un peu routinier dans ses développements. Heureusement que les acteurs sont excellents.

Synopsis : Russie, 2017. Mathieu Roussel est arrêté et incarcéré sous les yeux de sa fille. Expatrié français, il est victime d’un « kompromat », de faux documents compromettants utilisés par les services secrets russes pour nuire à un ennemi de l’Etat. Menacé d’une peine de prison à vie, il ne lui reste qu’une option : s’évader, et rejoindre la France par ses propres moyens…

Une histoire vraie largement remaniée

Critique : Après avoir réalisé le biopic académique sur Cousteau intitulé L’odyssée (2016), le réalisateur Jérôme Salle est revenu à son genre de prédilection à savoir le thriller. Il a ainsi retrouvé l’écrivain Caryl Férey avec lequel il a déjà collaboré sur l’adaptation du roman Zulu (2013) afin de relater la traque d’un Français par le FSB (les services secrets russes).

Le cinéaste s’est notamment inspiré de l’histoire vraie vécue par Yoann Barbereau racontée dans son livre autobiographique Dans les geôles de Sibérie. Toutefois, le script s’est largement éloigné du livre d’origine, à tel point qu’il n’est absolument pas cité au générique. Alors qu’il envisageait d’écrire Kompromat, Jérôme Salle a préféré contacter son complice Caryl Férey qui travaillait justement à son roman Lëd consacré à la Sibérie et aux dessous du pouvoir autocrate de Vladimir Poutine. Les deux hommes ont donc naturellement convergé l’un vers l’autre afin d’écrire le scénario à quatre mains.

Kompromat ou le constat glaçant d’un fossé culturel et civilisationnel

Vu que l’intrigue met en cause les méthodes douteuses opérées par le pouvoir en place, le tournage n’a pas eu lieu en Russie, mais bien en Lituanie, afin d’éviter les pressions. Jérôme Salle a immédiatement pensé à Gilles Lellouche car il estimait qu’il représentait parfaitement le type français, par opposition à la mentalité russe qu’il décrit de manière très rude dans son film. En fait, le but de Kompromat est de montrer le fossé culturel et civilisationnel qui s’est creusé entre la mentalité russe et européenne. Basé sur des constatations effectuées par Jérôme Salle lors de ses voyages sur place, le mépris affiché par certains Russes envers la faiblesse occidentale est étalé ici de manière inquiétante.

© 2022 Super 8 Production – SND Groupe M6. Tous droits réservés.

Lors d’échanges particulièrement glaçants, le personnage de Français naïf incarné avec justesse par Gilles Lellouche se rend compte petit à petit de cette haine qui s’est installée dans l’esprit de certains Russes, convaincus par les arguments de leur dirigeant. Certains que l’Occident est sur le déclin à cause de sa féminisation et sa tolérance envers l’homosexualité, ces Russes du FSB font preuve d’un sentiment de supériorité qui explique leur agressivité et leur volonté de rétablir la grandeur disparue du temps de l’URSS.

Un thriller qui entend dénoncer les pratiques douteuses de l’autocratie

L’intrigue du film est située en 2017, c’est-à-dire bien avant l’invasion de l’Ukraine, mais juste après l’épisode de la Crimée. Ainsi, le cinéaste décrit un pays déjà entièrement sous l’emprise autocrate de Vladimir Poutine. Certains pourraient reprocher au réalisateur de participer à une diabolisation de la Russie, mais Jérôme Salle et Caryl Férey ont eu l’intelligence de développer des personnages plus complexes. Certains Russes sont ainsi décrits comme des idéologues bornés, tandis que d’autres apparaissent comme bien plus compréhensifs. Le cinéaste insiste surtout sur le fait qu’il s’agit d’un peuple sous influence, incessamment martelé par une propagande agressive. D’un autre côté, les auteurs critiquent aussi l’attitude des autorités françaises, trop conciliantes selon eux, avec le pouvoir en place.

Si ces idées sont plutôt pertinentes, Kompromat n’est pas pour autant un thriller passionnant à cause de plusieurs erreurs au sein de la narration. Là où les auteurs pouvaient ménager un certain suspense quant à la raison pour laquelle le personnage est victime d’un kompromat (documents bidons qui servent à compromettre un homme en Russie), ils ont le malheur de dévoiler leurs cartes assez rapidement par le biais de flashbacks explicatifs. Dès lors, au bout d’une demi-heure, le long-métrage n’est plus qu’une longue course poursuite dont l’unique enjeu est de savoir si le personnage joué par Gilles Lellouche va réussir à sortir de Russie.

Kompromat manque de suspense et pâtit de facilités narratives

Certes, les auteurs ajoutent bien une histoire d’amour avec une Russe jouée par Joanna Kulig (la révélation de Cold War), mais là aussi son personnage intervient toujours au bon moment pour sauver le héros, et ceci de manière un peu trop fréquente pour être pleinement crédible. Ces ficelles narratives sont d’autant plus décevantes qu’elles viennent de Caryl Férey, auteur de polars passionnants qui a toujours su tisser des intrigues fortes dans ses romans. Ici, la plupart des ajouts romanesques manquent de vraisemblance, ce qui entame fortement le potentiel de dénonciation du film.

Finalement, Kompromat fonctionne surtout grâce à la conviction des acteurs, dont un imposant Gilles Lellouche, mais aussi par la grâce d’une réalisation qui sait être ponctuellement efficace. Certes, évoquer la Russie d’aujourd’hui est plutôt courageux dans le contexte actuel, mais Kompromat a tendance finalement à esquiver prudemment plusieurs sujets qui fâchent au profit d’un simple thriller dont la linéarité finit par ennuyer sur plus de deux heures de projection.

Critique de Virgile Dumez

Les sorties de la semaine du 7 septembre 2022

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