Beau film d’animation artisanal, Interdit aux chiens et aux Italiens séduit par sa dimension intime, mêlée à l’Histoire d’une nation malmenée. L’ensemble s’avère d’une grande qualité, mais doit être réservé à un public au-delà de 10 ans.
Synopsis : Alain Ughetto reconstitue dans ce film d’animation le parcours de ses grands-parents, agriculteurs piémontais nés à la fin du XIXe siècle, et poussés à émigrer en France par leurs conditions de vie et la montée du parti fasciste au pouvoir.
Une épopée intime qui embrasse la grande Histoire
Critique : Grand spécialiste de l’animation de petits personnages image par image, Alain Ughetto a réalisé l’exploit de mettre en scène Jasmine (2013) tout seul durant sept longues années. Après ce coup d’éclat salué par des critiques élogieuses, Ughetto a bénéficié de moyens supplémentaires – on évoque un budget proche de 3 490 000 euros – et surtout d’une équipe complète pour tourner Interdit aux chiens et aux Italiens (2022). En fait l’idée de raconter l’histoire de ses grands-parents venus d’Italie est venue à Alain Ughetto lorsqu’il a découvert que sa famille venait d’un petit village du Piémont où la quasi-totalité des habitants étaient ses ancêtres.
Dès lors, le cinéaste a imaginé un dialogue fictif qu’il aurait entretenu avec sa grand-mère (en réalité décédée depuis bien longtemps). C’est à travers son témoignage que la narration va pouvoir se déployer afin de raconter et de témoigner des souffrances éprouvées par ces migrants italiens, chassés de chez eux par la misère et accueillis avec haine et violence par la population française. Car Alain Ughetto retrouve de nos jours la même hargne envers les migrants de la part d’une certaine frange de la population française qu’autrefois envers les Italiens que l’on surnommait souvent les Macaronis. Le titre même du film fait référence aux pancartes que l’on pouvait lire à l’entrée de certaines échoppes qui refusaient leur entrée aux migrants venus d’Italie.
Du work in progress à la fiction…
Avec Interdit aux chiens et aux Italiens, Alain Ughetto entend donc faire œuvre à la fois mémorielle, mais il joue aussi son rôle de citoyen exaspéré par le rejet de l’autre qui est toujours aussi vif en 2023 qu’un siècle auparavant. Or, c’est ce sentiment d’exclusion qui a mené les pays au fascisme et à l’extrémisme le plus dangereux.
Débutant comme un work in progress, le film montre d’abord Alain Ughetto au travail, en train d’animer ses personnages. La présence permanente de sa main rompt tout d’abord le charme de l’animation, mais cela permet de montrer qu’il s’agit bien ici d’une reconstitution. Même si les faits sont intimement liés à l’histoire familiale d’Ughetto, avec son cortège de drames et de morts tragiques, l’auteur insiste sur l’aspect fictionnel de l’ensemble par ce truchement.
De l’exploitation du prolétariat à travers les âges
Pourtant, au fur et à mesure que la narration prend de l’ampleur et que le spectateur a fait connaissance avec les différents protagonistes, le cinéaste s’efface, les décors sont de plus en plus élaborés et les mouvements des personnages plus fluides. Dès lors, le film peut déployer ses fastes et emporter le spectateur dans une histoire intime qui se mêle inextricablement à la grande Histoire. Ainsi, le spectateur est invité à suivre la grande vague migratoire vers la Savoie (nouvellement française) liée à la misère de la fin du 19ème siècle. Puis, le film évoque avec talent les guerres coloniales italiennes (en Libye), puis la participation italienne à la Première Guerre mondiale. Le cinéaste passe ensuite à la période du fascisme qui a également fait fuir bon nombre de patriotes, républicains dans l’âme. Enfin, le métrage se clôt avec la Seconde Guerre mondiale et l’arrivée progressive d’une société de grande consommation durant l’après-guerre.
© 2023 Les Films du Tambour de Soie – Vivement Lundi – Foliascope – Graffiti Film – Nadasdy Film – Lux Fugit Film – Ocidental Filmes – Auvergne Rhône-Alpes Cinéma – Radio Télévision Suisse (RTS) – Radio Télévision Belge Francophone (RTBF). Tous droits réservés.
Ces différentes étapes sont marquées à chaque fois par des drames, mais aussi des passages plus heureux qui entendent démontrer le sel de l’existence, par-delà les difficultés du temps présent. Alain Ughetto insiste aussi sur la vie misérable de ces paysans qui ont toujours été exploités et qui ne se sont jamais révoltés contre leur condition, si ce n’est en quittant leur terre natale pour chercher ailleurs le salut. Au passage, l’auteur taille des croupières à l’Eglise catholique qui a entretenu cette structure sociétale pour le plus grand bonheur des puissants.
Comme un air de Marseille…
Au vu du discours général du film, il n’est pas étonnant de trouver au casting vocal la grande Ariane Ascaride (rappelons que Jasmine était déjà portée par son complice Jean-Pierre Darroussin). En fait, l’orientation politique du film tutoie clairement celle d’un Robert Guédiguian et s’inscrit donc dans une ligne proche du communisme. Mais peu importe puisque le long-métrage est surtout l’occasion de rendre un hommage vibrant et émouvant envers des êtres qui ont contribué à façonner la France d’aujourd’hui de leur sueur et de leurs mains.
Animé avec talent, Interdit aux chiens et aux Italiens est aussi un bel objet artistique et esthétique, avec des poupées mignonnes et attachantes. Tout n’est pas triste dans ce film qui est également drôle, notamment grâce à des idées saugrenues comme la vache qui n’est qu’un jouet désarticulé. Ce joli film mérite donc amplement son Prix du meilleur film d’animation aux European Awards, ainsi que son Prix de la fondation Gan au Festival d’Annecy.
Interdit aux chiens et aux Italiens porté par un bon bouche-à-oreille
Sorti fin janvier 2023 par Gebeka Films, le long-métrage a séduit 41 957 spectateurs lors de sa semaine d’investiture. La chute est assez conséquente en deuxième semaine avec 28 065 retardataires. Pourtant, Interdit aux chiens et aux Italiens, porté par un bouche-à-oreille nettement favorable s’est maintenu autour des 25 000 entrées par semaine durant plusieurs septaines, aidé par les vacances scolaires de février. Par la suite, le film a continué à être exploité jusqu’au mois de mai, glanant ainsi 189 459 entrées sur toute sa carrière, preuve de la curiosité du public envers une proposition de cinéma différente des grosses machines habituelles (y compris en matière d’animation). Désormais, le film est visible en DVD ou en VOD.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 25 janvier 2023
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