Eden de Megan Griffiths, sorti furtivement en salle en 2013, dans deux cinémas, est un téléfilm de luxe qui traite d’une histoire estampillée véridique sur le thème fort de la traitre des femmes. Il peine à trouver sa légitimité sur grand écran.
Synopsis : 1994. Une adolescente américano-coréenne, Hyun Jae passe la soirée dans un bar du Nouveau-Mexique, où un jeune homme séduisant lui offre un verre et lui propose de la raccompagner chez elle. Elle n’atteindra jamais sa maison. Enlevée par un réseau de trafiquants de drogues et d’êtres humains, elle est forcée de se prostituer. Flottant dans une brume de morphine, elle entrevoit ce que sera son avenir : du sexe avec des inconnus, et la vie dans un box de stockage de 1 mètre carré. Mais au fil de sa captivité, devenue Eden, elle gagne en pouvoir et en influence au sein même de l’organisation qui la retient.
Un thriller féministe qui refuse les codes de la série B masculiniste
Critique : Largement inspiré de l’histoire authentique de la jeune Chong Kim qui fut kidnappée durant les années 90 et retenue prisonnière d’un important réseau de prostitution aux Etats-Unis pendant plusieurs années, Eden bénéficie du cachet toujours intrigant de quasi documentaire sur un sujet particulièrement épineux. Entièrement cautionné par Chong Kim elle-même qui a veillé à la véracité de tout ce qui se déroule à l’écran, le résultat final semble donc paré contre toutes les attaques éventuelles sur les incohérences du script ou encore sur certaines ficelles employées pour nous faire avaler la pilule. Pourtant, il ne suffit pas d’estampiller une œuvre tirée d’une histoire vraie pour que le spectateur soit automatiquement plus indulgent envers ce qui lui est proposé.
Si le début du film laisse quelques espoirs grâce à un enlèvement plutôt bien amené et une description assez réaliste du milieu de la prostitution où règne une forme d’esclavage moderne proprement scandaleux, le reste ne se hisse jamais à la hauteur des attentes et verse même parfois dans un voyeurisme problématique au vu de la posture moralisatrice du projet. La jeune réalisatrice ne nous épargne ainsi aucun effet pour rendre l’horreur de la situation, entre une musique sombre à base de vrombissements évocateurs et ces nombreux plans sur des femmes aux corps tuméfiés. Reste que l’émotion, elle, n’arrive jamais vraiment à s’immiscer tant la cinéaste met d’ardeur à la susciter. Plombé par un rythme nonchalant, Eden ne nous épargne pas non plus le couplet sur le fameux syndrome de Stockholm, devenant par instants proprement désagréable dans sa volonté de décrire un milieu nauséabond, même si la réalisatrice refuse le nu et les moments trop putassiers propres aux séries B.
Eden de Megan Griffiths et les affres d’une sortie souterraine
Toutefois, le plus gros défaut vient indéniablement de la médiocrité de la réalisation qui transparaît dès les premiers plans. Shooté comme un vague téléfilm, Eden trouverait davantage sa place sur des chaînes de la TNT pour servir de support au sempiternel débat sur l’enfer de la prostitution, plutôt que sur de beaux écrans de multiplexes. Cela tombe bien, les programmateurs n’ont semblent-ils pas voulu diffuser cette série B, puisque selon CBO-Box-office, celle-ci n’aurait bénéficié que de deux écrans en France lors d’une sortie tellement furtive qu’aucuns chiffres n’ont été proposés. C’est donc en DVD et blu-ray que les Français verront éventuellement ce produit marketé comme un torture porn dans son visuel, mais traité artistiquement de façon moins racoleuse. On notera qu’Eden sera l’ultime film du distributeur Clear Vision, dont il s’agissait du deuxième essai au cinéma. Un mois plus tôt, la société qui avait essayé de faire son trou dans l’édition DVD entre 2012 et 2014, avait proposé en salle Mission to Lars, documentaire autour d’un fan autiste de Lars Ulrich de Metallica qui rêve de rencontrer son idole. Le biopic rigolo avait achevé sa carrière à 61 spectateurs.
Aux USA, la sortie a été tout aussi discrète, avec une parution simultanée en salle et en VOD. Là encore, aucunes recettes n’ont été remontées par la société indépendante qui le proposait. C’est donc en VOD que le film sera proposé un peu partout dans le monde, notamment sur Prime Vidéo.
Avec son titre banal, qui donnera naissance à un énième film éponyme en 2014, avec le fameux hommage à la French Touch de Mia Hansen-Løve, Eden a traversé les années 2010 sans laisser de trace et sa réalisatrice, Megan Griffiths, n’aura pas plus de chance l’année suivante, lorsqu’elle dirigera Toni Collette et Thomas Haden Church dans Lucky Them (2013). L’autrice tournera quelques longs de plus, mais c’est à la télévision qu’elle gagnera essentiellement sa vie, en réalisant des épisodes d’Animal Kingdom, Prodigal Son ou encore Pretty Little Liars: Original Sin en 2022.
Critique de Virgile Dumez
Sorties de la semaine du 13 novembre 2013
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Megan Griffiths, Jamie Chung, Matt O’Leary, Beau Bridges, Eddie Martinez