Polar hard boiled, Crime Story n’exploite pas pleinement le potentiel de son script au profit d’une action non-stop. Divertissant, mais inégal.
Synopsis : L’inspecteur Eddie Chan est chargé de la sécurité d’un homme d’affaires important. Quand ce dernier est kidnappé, il accepte l’aide d’un détective pour résoudre son enquête.
Un Jackie Chan métamorphosé en flic traumatisé
Critique : Au cours des années 80, l’homme d’affaires hongkongais Teddy Wang a été kidnappé à deux reprises, une première fois en 1983, puis en 1990. Ce deuxième rapt a choqué l’opinion locale puisque le millionnaire n’a jamais été retrouvé. A partir de cet événement, cinq scénaristes ont travaillé d’arrache-pied pour tirer de cette histoire terrible un scénario de film d’action qui serait aussi réaliste que possible. Toutefois, le script a subi de nombreuses altérations car considéré comme très sombre par les producteurs.
Acteur devenu réalisateur, Kirk Wong tourne en 1992 dans Double dragon (Tsui Hark, Ringo Lam, 1992) dans lequel il a pour partenaire de jeu Jackie Chan. Il propose ainsi le script à la star qui accepte immédiatement car Crime Story lui offre l’occasion de quitter son emploi habituel pour un personnage bien plus sombre. Et de fait, le long-métrage n’est aucunement plombé par de l’humour typiquement asiatique, se contentant de divertir le grand public avec des scènes d’action époustouflantes, mais sans avoir recours au moindre gag.
Un film mutilé par la star qui avait peur d’écorner son image
Le film de Kirk Wong démarre même plutôt bien en insistant sur le traumatisme que peut ressentir un policier lorsqu’il vient de tuer un homme. Le cinéaste comptait approfondir cette notion et faire du personnage principal un être traversé de doutes sur sa mission. Malheureusement, la plupart des scènes plus psychologiques ont été ensuite éliminées du montage final par un Jackie Chan effrayé par la noirceur du propos. Ayant peur de trop déstabiliser son public et d’écorner son image, le petit dragon a remonté le film dans le dos du réalisateur, ce qui a brouillé les deux hommes jusqu’à nos jours.
On peut sans doute regretter cette intervention de Jackie Chan puisque son personnage semble douter de lui-même dans les quinze premières minutes du film, avant de retrouver une plus fière allure par la suite. Exit les questionnements intérieurs et place à l’action tous azimuts. Le personnage redevient même un héros classique et sans tache, sauvant les bons, les méchants et même les enfants en détresse. Cette absence de subtilité vient donc contredire le premier quart d’heure du film et se place dès lors dans le giron très classique du polar de série B.
Le point de vue documentaire est escamoté pour faire place à l’action
Même l’aspect documentaire est progressivement évacué par le recours à des scènes d’action spectaculaires destinées à en mettre plein la vue. Certes, elles permettent d’animer un script trop linéaire et prévisible, mais elles entrent en contradiction avec la volonté affichée de coller à la réalité des faits. Par contre, Kirk Wong, déjà repéré pour sa maestria visuelle sur Gunmen (1988), fait des miracles en matière d’action. Outre des cascades impressionnantes, il fait preuve d’une incroyable agilité dans les mouvements d’appareil. On peut aisément rapprocher son travail de celui opéré à l’époque par John Woo, Tsui Hark ou Ringo Lam.
On reste donc scotché à son fauteuil durant la première fusillade, mais aussi lors d’une bagarre dans le repaire des méchants. Et que dire de la dernière séquence pétaradante où le cinéaste met le feu à un quartier entier en profitant de sa destruction programmée pour tout exploser.
De bons acteurs au service d’un film inégal, mais prenant
On reste par contre davantage dubitatif devant l’illustration sonore assez kitsch de Mark Lui et James Wong qui n’hésitent pas à sampler la géniale rythmique de la BO de Nikita d’Eric Serra, sans doute sans en posséder les droits. La musique ressemble donc à un pot-pourri de tout ce qui se faisait à l’époque,
sans avoir la moindre cohérence esthétique. Il s’agit pourtant d’une habitude malheureusement récurrente dans les films hongkongais.
Au niveau des acteurs, face à un Jackie Chan très sérieux, nous pouvons admirer également le jeu correct de Kent Cheng en policier corrompu, ainsi que la toute première apparition à l’écran de Law Kar-Ying, acteur vu depuis dans une centaine de productions hongkongaises.
En l’état, Crime Story est un bon Jackie Chan qui a le mérite de s’affranchir de l’humour habituel de l’artiste martial, même si le script a sans doute été trop édulcoré pour pleinement convaincre. Sorti directement en VHS sur notre territoire, puis dans de multiples éditions DVD, le long-métrage mérite donc d’être visionné pour ce qu’il est, à savoir un bon film d’action made in HK.
Critique de Virgile Dumez