Malgré une deuxième partie plus inégale, Chaque soir à neuf heures demeure une œuvre importante du cinéma britannique des années 60, à redécouvrir d’urgence.
Synopsis : Dans une vieille maison anglaise vivent une mère malade et ses sept enfants : Elsa, Diana, Hubert, Dunstan, Jiminee, Gerty et Willy. Lorsque leur mère meurt, les enfants, de peur d’être envoyés à l’orphelinat, dissimulent le décès de leur mère et se réunissent chaque soir à 9 heures pour tenir conseil. Charlie Hook, un truand sympathique, disparu depuis de longues années se présente alors comme leur père…
Retour vers l’enfance pour Jack Clayton
Critique : Le producteur-réalisateur Jack Clayton a rencontré un formidable succès avec ses adaptations littéraires que sont Les chemins de la haute ville (1959) et surtout Les innocents (1961) qui ont prouvé sa capacité à suggérer plutôt qu’à montrer, tout en développant des thématiques audacieuses. Si Le mangeur de citrouilles (1964) n’a pas nécessairement mauvaise presse, il n’a pas été un franc succès. Aussi Jack Clayton se doit de rebondir en ce milieu des années 60. Il s’empare cette fois-ci d’un roman méconnu de Julian Gloag et décide de retrouver ce monde de l’enfance qu’il avait si bien su dépeindre dans Les innocents.
Toutefois, l’histoire présente de nombreux défis pour être adaptée à l’écran. Effectivement, la situation initiale implique la mort d’une mère de famille et le destin tragique de ses sept enfants qui, pour ne pas être envoyés à l’orphelinat, décident de garder son décès secret. Par la suite, l’intrigue aborde d’autres thèmes complexes à traduire sur grand écran comme l’exploitation de gamins par leur père, la suspicion d’inceste, ainsi que le meurtre perpétué par un des enfants.
Une première partie exemplaire
Autant d’éléments particulièrement délicats qui pouvaient faire sombrer le projet dans le glauque, le voyeurisme et le film d’exploitation putassier. Avec Jack Clayton aux commandes, il n’en est rien. Adepte de la suggestion, l’auteur des Innocents préfère occulter les aspects les plus triviaux de cette histoire pour créer une ambiance mortifère du plus bel effet. Du moins dans la remarquable première partie du long-métrage. Il est notamment d’une justesse absolue lorsqu’il montre les réactions contrastées face à la mort de la mère. Les enfants plus âgés sont totalement désorientés, tandis que les plus petits ne saisissent pas vraiment ce que la disparition de leur génitrice signifie.
Durant les quarante-cinq premières minutes admirables de Chaque soir à neuf heures, chacun d’entre nous peut se projeter dans ce rapport étrange qui s’instaure entre les enfants et leur mère disparue. Le cinéaste va même jusqu’à suggérer une possible voie fantastique qu’il n’emprunte finalement pas. Certes plombant, ce début laisse augurer la naissance d’un nouveau chef d’œuvre de la part de Clayton.
Une deuxième partie plus classique qui n’est toutefois pas exempte de fulgurances
Malheureusement, avec l’arrivée du père (biologique ou pas ?) incarné par Dirk Bogarde, Jack Clayton emprunte une nouvelle direction, à savoir celle du drame plus social. Le personnage apporte au film une respiration bienvenue dans un premier temps, mais ses manigances pour exploiter les gamins sont sans doute trop évidentes pour pleinement passionner. Il faut alors faire le deuil du film d’ambiance qui se profilait pour entrer dans une intrigue plus classique, même si elle réserve encore quelques beaux moments d’ambiguïté.
On adore notamment la suggestion d’une relation trouble qui s’instaure entre Bogarde et la jeune adolescente incarnée par Pamela Franklin. De même, le meurtre final (on n’en dira pas plus) vient confirmer l’audace d’un script très osé pour cette année 1967. Toutefois, malgré la force de cette proposition narrative, il manque une dernière scène forte à Chaque soir à neuf heures, du genre qui marquerait durablement les esprits.
Un cruel échec public qui a injustement condamné le film à l’oubli
Pas de quoi bouder le long-métrage pour autant puisqu’il demeure suffisamment fort pour s’imposer comme une œuvre majeure du cinéma britannique des années 60. Pourtant, le grand public n’a jamais fait honneur au film qui est passé totalement inaperçu au Royaume-Uni. En France, il a fallu attendre plus de six ans pour qu’il soit distribué de façon ultra confidentielle (il fera à peine 5 000 entrées sur la capitale). Chaque soir à 9 heures est resté ensuite invisible pendant de longues années et demeure encore aujourd’hui une rareté. On lui souhaite une vraie résurrection grâce aux plateformes de VOD.
Critique du film : Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 6 septembre 1973
© 1967 Filmways – Heron Film Productions – Metro-Goldwyn-Mayer British Studios. / Affiche belge. Tous droits réservés.