Très bien écrit et réalisé de manière classique et efficace, Brooklyn Affairs remet en lumière le talent d’Edward Norton, ici scénariste, réalisateur et acteur émérite. Une bonne surprise.
Synopsis : New York dans les années 1950. Lionel Essrog, détective privé souffrant du syndrome de Gilles de la Tourette, enquête sur le meurtre de son mentor et unique ami Frank Minna. Grâce aux rares indices en sa possession et à son esprit obsessionnel, il découvre des secrets dont la révélation pourrait avoir des conséquences sur la ville de New York… Des clubs de jazz de Harlem aux taudis de Brooklyn, jusqu’aux quartiers chics de Manhattan, Lionel devra affronter l’homme le plus redoutable de la ville pour sauver l’honneur de son ami disparu. Et peut-être aussi la femme qui lui assurera son salut…
Un projet en développement depuis plus de 10 ans
Critique : Cela faisait bien longtemps que l’acteur-réalisateur Edward Norton ne s’était pas distingué au cinéma. Après un nombre conséquent de rôles importants entre 1996 et 2008, sa carrière a pris un tour plus problématique, puisqu’on ne le retrouve que dans des seconds rôles souvent insignifiants durant plus de dix ans. Pourtant, l’artiste en sommeil n’était pas dépourvu de projets, dont l’adaptation du livre de Jonathan Lethem intitulé Motherless Brooklyn. Norton a mis plus de dix ans à concevoir cette adaptation, de l’écriture du script jusqu’à la recherche d’un financement, d’abord sous l’égide de la New Line, puis celle de la Warner Bros.
En réalité, Edward Norton a pu disposer d’un budget moyen estimé à 26 millions de billets verts grâce à son amitié avec Toby Emmerich, devenu ces derniers temps le grand patron de la mythique firme Warner. Un joli cadeau qui vise à soutenir un artiste en mal de reconnaissance, cherchant désespérément à relancer sa carrière en bout de course. Misant tout sur son ambitieux projet, Edward Norton est à la fois scénariste, réalisateur et acteur principal de ce film noir.
Un discours offensif qui vise l’Amérique actuelle
Alors que le roman est situé dans les années 90, Norton a opté pour une patine plus ancienne en transposant son intrigue dans le New York des années 50. L’occasion pour le cinéaste d’Au nom d’Anna (2000) de rendre hommage à tout un pan du cinéma classique hollywoodien, mais aussi de parler de l’Amérique actuelle sous couvert d’Histoire. Ainsi, cette tortueuse intrigue de magouilles immobilières évoque la politique actuelle connue sous le nom de gentrification. Pour mémoire, elle vise à exproprier les populations les plus pauvres des quartiers centraux de la ville pour créer d’immenses projets immobiliers destinés aux catégories sociales les plus aisées. Cette politique touche actuellement tous les pays du monde et se double aux Etats-Unis d’une dimension raciale que Norton dénonce.
A y regarder de plus près, l’acteur-réalisateur s’en prend de manière détournée à l’Amérique de Trump, celle des affairistes imbus de pouvoir qui cherchent à étendre leur influence au nom du progrès. Par contre, la grande force du long-métrage est de ne jamais tomber dans la démonstration, et même de conserver une part d’humanité à chaque protagoniste. Si le personnage incarné avec force par Alec Baldwin apparaît comme un vrai salaud arriviste, il le fait tout de même au nom d’un idéal. Alors que l’on s’attend à ce que toutes les responsabilités lui incombent, on découvrira au fil d’une longue enquête que les choses sont plus complexes que cela.
Un film très littéraire qui n’oublie jamais de développer la psychologie des personnages
Très littéraire dans sa construction, Brooklyn Affairs a le grand mérite de prendre son temps pour construire des personnages à la psychologie fouillée, tout en développant différents arcs narratifs qui finissent par se recouper. Respectant l’œuvre d’origine, Norton déploie donc un vrai savoir-faire dans la construction de son histoire et dans l’écriture des personnages. Derrière le sérieux de l’entreprise, il n’oublie pas non plus de signer quelques séquences amusantes liées au syndrome de la Tourette qui affecte son personnage. L’acteur parvient d’ailleurs à incarner cet être perclus de tics sans en faire des tonnes.
Au final, porté par des acteurs bien dirigés, une réalisation classique mais efficace, et une musique jazzy qui crée une ambiance séduisante, Brooklyn Affairs est une bonne surprise qui confirme les multiples talents de son auteur. On espère que cela sera suffisant pour relancer définitivement sa carrière.
Brooklyn Affairs sur le site du distributeur
Critique du film : Virgile Dumez