Cri d’alerte sur le malaise français, Bâtiment 5 déploie son point de vue avec intelligence et en n’oubliant jamais de faire du cinéma. Le second film de Ladj Ly ne fera clairement pas l’unanimité tant son constat est accablant.
Synopsis : Haby, jeune femme très impliquée dans la vie de sa commune, découvre le nouveau plan de réaménagement du quartier dans lequel elle a grandi. Mené en catimini par Pierre Forges, un jeune pédiatre propulsé maire, il prévoit la démolition de l’immeuble où Haby a grandi. Avec les siens, elle se lance dans un bras de fer contre la municipalité et ses grandes ambitions pour empêcher la destruction du bâtiment 5.
Les misérables 2.0
Critique : France. Effondrement programmé. Tel pourrait être le sous-titre de Bâtiment 5, le nouveau brûlot de Ladj Ly après son uppercut Les misérables (2019) qui a convaincu plus de 2,1 millions de spectateurs. Pour mémoire, ce premier long-métrage a obtenu le Prix du jury au Festival de Cannes 2019, puis a ramassé quatre César en 2020 dont celui du meilleur film, mais aussi celui du meilleur espoir masculin pour Alexis Manenti, qui est d’ailleurs de retour dans ce Bâtiment 5 où il a pris du galon puisqu’il passe de simple policier à maire intérimaire.
Pour ce nouveau projet, Ladj Ly s’est largement inspiré de sa propre expérience puisqu’il a grandi dans le Bâtiment 5 d’une cité de Montfermeil qui a été justement détruit pour être remplacé par des immeubles de plus haut standing. Pourtant, cette fois-ci, Ladj Ly a préféré créer de toute pièce une ville imaginaire nommée Montvilliers, afin de n’être comptable d’aucune attaque sur la charge menée contre une mairie en particulier.
Bâtiment 5 réfléchit aux conséquences de la gentrification
Avec son nouveau film, Ladj Ly entend surtout montrer à l’écran des habitants des cités que l’on voit rarement, à savoir les petites gens qui se débattent au quotidien pour vivre dignement. Le réalisateur assume pleinement de ne pas montrer les trafiquants de drogue puisque tel n’est pas son sujet. Il préfère évoquer la vie de la grande majorité des habitants des quartiers populaires avec simplicité, sans cacher les tensions qui y règnent, mais sans accabler la population locale non plus. Il cible plutôt ici la politique de gentrification qui est actuellement à l’œuvre dans plusieurs communes de France. Pour rappel, cette méthode de rénovation urbaine vise au départ à améliorer les conditions d’existence des habitants. Mais comme le prix au mètre carré s’envole, il s’agit de facto d’une mise à l’écart encore plus grande des classes populaires, contraintes pour la plupart à déménager.
© 2023 – Srab Films – Lyly Films – France 2 Cinema – Panache Productions- La Compagnie Cinematographique
Cette politique n’est aucunement l’apanage de la France puisque la plupart des grandes métropoles des pays développés et même des pays émergents se livre à cette pratique. Ici on détruit des immeubles, là-bas on rase un bidonville. A chaque fois, il s’agit de repousser la misère hors des grandes aires urbaines, au risque de ghettoïser une partie de la population. Dans Bâtiment 5, le spectateur suit donc les premiers pas en tant que maire d’un intérimaire désigné par son parti politique (que l’on imagine de droite au vu des prises de position réactionnaires du personnage parfaitement interprété par Alexis Manenti). Persuadé que la solution à tous les problèmes vient de la répression et s’abritant sans cesse derrière le rempart de la loi, le maire en question multiplie les provocations qui vont mener à un drame humain paroxystique lors du climax du long-métrage.
A quand le prochain embrasement ?
Ladj Ly, s’il se place d’emblée du côté des gens des cités, tente de démontrer que la situation est de plus en plus hors de contrôle car le dialogue n’existe quasiment plus entre des populations qui se radicalisent de plus en plus. D’un côté le communautarisme est un frein évident à l’intégration, mais de l’autre, les provocations incessantes de certains partis politiques viennent jeter de l’huile sur le feu. Au milieu, les forces de l’ordre doivent faire appliquer des ordres qui paraissent souvent absurdes, voire inhumains. Tout le monde se révèle perdant à ce petit jeu qui peut mener à terme à l’embrasement.
Jamais tendre et certainement pas agréable à regarder, Bâtiment 5 doit pourtant être vu comme un appel à une prise de conscience de la nouvelle génération issue de l’immigration qui, au lieu de se plaindre en permanence, doit prendre son destin en main et s’engager en politique afin de faire bouger les lignes. C’est ce que représente le personnage de la jeune femme interprétée par Anta Diaw qui souhaite mobiliser les gens des quartiers, non dans une optique violente, mais bien dans une contestation saine et constructive. Ce beau personnage ne peut qu’enrager devant la stupidité du maire aux commandes, mais elle ne peut aucunement valider la démarche vengeresse de Blaz (joué avec conviction par Aristote Luyindula).
Bâtiment 5, un vrai film politique dans le bon sens du terme
Si le réalisateur donne des pistes de réflexion intéressantes pour se sortir de l’impasse actuelle, le constat de Bâtiment 5 fait tout de même froid dans le dos. Très tendu, le film suscite beaucoup d’émotions contraires et ne peut laisser indifférent. Il est aidé en cela par une réalisation très maîtrisée – merci encore aux drones – qui investit à la fois le ciel, mais aussi les couloirs sombres de ces immeubles dégradés. Enfin, le cinéaste retrouve la même ambiance menaçante que dans Les misérables grâce à la musique de Pink Noise.
Le résultat est sans doute en retrait par rapport au long-métrage précédent de son auteur, mais il aura le mérite de beaucoup faire discuter à la sortie de la projection. Certains y trouveront leur compte, d’autres seront réfractaires, mais l’important n’est-il pas justement d’échanger sur ces problématiques centrales au sein d’une démocratie ? Bâtiment 5 y contribuera à sa façon, avec son point de vue tranché mais tout à fait nécessaire.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 6 décembre 2023
© 2023 – Srab Films – Lyly Films – France 2 Cinema – Panache Productions- La Compagnie Cinematographique / Affiche : Benjamin Seznec pour Troïka. Tous droits réservés.
Biographies +
Ladj Ly, Jeanne Balibar, Alexis Manenti, Al-Hassan Ly, Aurélia Petit, Anta Diaw, Aristote Luyindula, Steve Tientcheu
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