Film-gadget totalement ludique, A couteaux tirés est plutôt une bonne surprise grâce à une intrigue tortueuse et un sous-texte politique inattendu. Divertissant, dans le bon sens du terme.
Synopsis : Célèbre auteur de polars, Harlan Thrombey est retrouvé mort dans sa somptueuse propriété, le soir de ses 85 ans. L’esprit affûté et la mine débonnaire, le détective Benoit Blanc est alors engagé par un commanditaire anonyme afin d’élucider l’affaire. Mais entre la famille d’Harlan qui s’entre-déchire et son personnel qui lui reste dévoué, Blanc plonge dans les méandres d’une enquête mouvementée, mêlant mensonges et fausses pistes, où les rebondissements s’enchaînent à un rythme effréné jusqu’à la toute dernière minute.
Inspiré par Agatha Christie, Rian Johnson propose un scénario entièrement original
Critique : Le succès du Crime de l’Orient-Express (Branagh, 2017), nouvelle adaptation d’un célèbre roman d’Agatha Christie, semble enfin faire des émules. Désormais totalement écrasé par le poids de Disney et des films de super-héros à la Marvel, le cinéma hollywoodien semble plus que jamais incapable de proposer quelque chose de réellement neuf aux spectateurs. Certes, A couteaux tirés utilise des formules éprouvées qui ont déjà maintes fois été arpentées par le passé, mais il faut tout de même saluer la désinvolture de Rian Johnson qui ose proposer un scénario entièrement original, à une époque où les financiers n’ont plus qu’un mot à la bouche : franchise.
Ce polar n’est aucunement une adaptation d’un vieux roman, et encore moins l’exploitation d’un personnage qui aurait des décennies d’existence. Certes, Rian Johnson s’est largement inspiré des grands classiques de la littérature policière, mais il propose bien une histoire nouvelle, portée par des personnages qui n’ont jamais été vus par le spectateur.
Un début qui traîne, pour mieux installer une intrigue tortueuse
Cela explique sans doute le petit temps d’adaptation nécessaire pour entrer dans le film, puisque sa construction narrative, faussement classique, est un vrai modèle de chausse-trappes. Débutant dès les premières minutes par les interrogatoires successifs des suspects, A couteaux tirés inquiète tout d’abord par son manque criant de contextualisation et sa volonté apparente de se conformer au moule classique d’un whodunit à l’ancienne. On se dit alors que le temps risque d’être long si l’intégralité du film consiste en de multiples interrogatoires et flash-backs.
Heureusement, le cinéaste a l’heureuse initiative de dynamiter les attentes du public au bout d’une quarantaine de minutes. Nous ne révélerons rien de ce qui suit afin de préserver le plaisir de la découverte, mais sachez seulement que le réalisateur se joue de nous avec une certaine gourmandise.
Un casting royal, souvent à contre-emploi
Sans abuser des twists (on en compte deux, mais très efficaces et cohérents), Rian Johnson s’amuse à détourner le genre qu’il aime, tout en le dynamitant de l’intérieur par un humour discret, mais salvateur. Cela passe tout d’abord par le personnage iconoclaste incarné par un Daniel Craig en total contre-emploi. Plutôt décalé, parfois à côté de la plaque, mais finalement très perspicace, le détective Benoît Blanc pourrait être défini comme un mélange d’Hercule Poirot et de Columbo.
On aime également beaucoup le personnage central interprété par Ana de Armas qui confirme ici l’étendue de son talent. Enfin, le reste du casting est tout bonnement royal, avec une mention spéciale pour Toni Collette et Jamie Lee Curtis qui redoublent de vacherie lorsqu’elles en ont l’occasion. Leur numéro de garces hypocrites est bien rodé.
Rian Johnson règle ses comptes avec l’Amérique de Trump
Outre une belle efficacité dans la conduite de cette enquête très tortueuse, on appréciera également la métaphore politique sous-tendue par l’intrigue. Ainsi, le long-métrage peut être vu comme un doigt d’honneur lancé à une certaine Amérique. Commentaire acide sur la politique migratoire menée par Trump depuis le début de sa présidence, la fin du film, ouvertement politique, consiste en un joli pied de nez envers tous les souverainistes de la planète.
Ceux qui n’ont pas envie d’aller aussi loin dans le décryptage de l’œuvre peuvent tout aussi bien prendre plaisir à suivre ce film-gadget qui confirme définitivement le talent d’un réalisateur qui demeure avant tout un scénariste. Le ton ludique de cette géante partie de Cluedo devrait lui permettre de fédérer un large public.
Critique de Virgile Dumez
La page du film sur le site du distributeur