Réalisateur, scénariste, producteur et acteur britannique, Ken Russell (de son nom complet Henry Kenneth Alfred Russell) est né à Southampton en 1927. Le jeune garçon a effectué des études de photographie, avant de rejoindre la marine marchande à l’adolescence afin de fuir le foyer familial marqué par un père violent et une mère instable sur le plan mental. Ensuite, il effectue son service militaire dans la Royal Air Force, puis se lance dans la danse, se passionne pour le théâtre et le ballet.
Ken Russell, de la photographie au cinéma
Au milieu des années 50, Ken Russell devient un photographe de premier plan et il commence également à tâter de la caméra avec plusieurs courts-métrages à partir de 1956. Finalement, il est embauché par la BBC pour réaliser une vingtaine de documentaires d’une quinzaine de minutes sur des grands compositeurs. Cette série intitulée Monitor comprend donc 25 titres réalisés entre 1959 et 1965.
Pourtant, le jeune réalisateur opte pour le long-métrage de fiction en 1964 avec French Dressing (1964). Il s’agit toutefois d’une comédie assez banale où le style outré du réalisateur n’apparaît pas encore. Le métrage demeure inédit en France. Face à cet échec commercial, Ken Russell revient à la télévision où il affirme un style plus offensif au sein de ses documentaires. Certains provoquent même des remous à cause de leur ton iconoclaste.
Le cinéaste revient au grand écran avec Un cerveau d’un milliard de dollars (1967) qui est la suite des aventures de l’espion Harry Palmer interprété par Michael Caine. Ce troisième épisode ne rencontre pas le succès attendu et la franchise en restera là. En France, le film n’attire que 175 643 fans de cinéma britannique.
Les premiers succès des années 70
Copyright Brandywine Productions
Ken Russell doit finalement attendre son troisième film pour trouver à la fois son style propre et le succès. Il adapte un roman de D.H. Lawrence avec Love (1969) et remporte un succès international impressionnant pour une œuvre aussi particulière. En France, ils furent 794 322 à venir s’encanailler avec Alan Bates, Oliver Reed et Glenda Jackson. Cette dernière décroche carrément l’Oscar de la meilleure actrice pour sa prestation.
Désormais considéré comme un cinéaste bankable, Ken Russell peut imposer un sujet qu’il voulait traiter depuis longtemps sur la vie tourmentée de Tchaïkovski intitulé Music Lovers – La Symphonie pathétique (1971), rôle qu’il confie à Richard Chamberlain. Loin de la romance attendue, le film déploie des charmes vénéneux et décontenance le grand public. En France toutefois, le public répond présent avec 621 782 mélomanes dans les salles.
Désireux de faire scandale à tout prix, Ken Russell s’empare ensuite du sujet sulfureux des possédées de Loudun et signe avec Les diables (1971) un chef d’œuvre hallucinant et délirant. Le métrage gagne le Prix du meilleur film étranger au Festival de Venise. L’ensemble est sublimé par les décors dingues d’un certain Derek Jarman et devient rapidement une œuvre culte. En France, le triomphe est total avec 1 255 145 anticléricaux dans les salles.
© 1971 Russo Productions / Affiche : René Ferracci. Tous droits réservés.
Dans la foulée, Russell se lance dans un pastiche des comédies musicales des années 30 avec The Boy Friend (1972) qui n’intéresse personne et demeure inédit en France. Toujours intéressé par le genre du biopic, largement remanié par son style maniériste, Russell tourne ensuite Le messie sauvage (1972) sur la vie du sculpteur Henri Gaudier. Malgré son titre, le long-métrage est bien plus mesuré que ses œuvres précédentes et ne présente finalement guère d’intérêt. Même le public français le boude (35 594 égarés).
Il était donc temps pour l’auteur de revenir aux excès qui ont fait son succès. Peu importe désormais le sujet traité, puisque la vraie star du film devient le réalisateur lui-même et ses délires visuels. Avec Mahler (1974), il ne rencontre pas le succès, pas plus qu’avec Lisztomania (1975) qui n’attire que 105 673 spectateurs. Le cinéaste a beau multiplier les biopics de musiciens classiques, il ne retrouve plus la faveur du public.
Le beau succès de Tommy et le départ aux Etats-Unis
C’est par le rock et notamment par la réalisation clipesque de Tommy (1975) du groupe britannique les Who qu’il retrouve le chemin du succès. Le métrage cartonne dans le monde entier et réunit 1 347 390 de rockeurs en France. Un très beau score qui rétablit la notoriété entamée d’un cinéaste reconnu pour son talent visuel.
Dès lors, Ken Russell dépense sans compter pour son biopic dingue sur Valentino (1977) dont il confie le rôle principal à Rudolf Noureev. Même si le long-métrage est plutôt réussi, le bide est cette fois-ci terrible. Les Français sont 349 587 muets à venir voir le film en salles, mais le budget astronomique n’est aucunement remboursé. Désormais persona non grata auprès des producteurs britanniques, Ken Russell décide de tenter sa chance aux Etats-Unis où on l’accueille à bras ouverts.
Le lent déclin au cours des années 80
© 1984 New World Pictures – China Blue Productions – Planet Productions. Tous droits réservés.
Il débute là-bas avec le film de SF Au-delà du réel (1980) avec William Hurt. Le cinéaste développe un imaginaire visuel toujours aussi foisonnant et connaît ainsi un joli succès qui se retrouve également en France avec 703 512 amateurs de fantastique. Toutefois, la plupart des projets suivants de l’artiste demeurent lettre morte et il doit attendre 1984 pour parvenir à monter l’étonnant et très hot Les jours et les nuits de China Blue (1984) avec Kathleen Turner et Anthony Perkins. Le film, lourdement interdit aux moins de 16 ans en France, est un flop international. Toutefois, il est devenu culte depuis cette époque grâce à la vidéo. Pour le cinéaste, il s’agissait en tout cas d’une mauvaise opération financière à un moment difficile de sa carrière où tous ses projets s’effondraient les uns après les autres.
C’est d’ailleurs à cette époque qu’il se met à tourner des clips vidéo pour payer ses factures, notamment pour le compte d’Elton John. Il parvient cependant à tourner Gothic (1986) en Angleterre. Le long-métrage très étrange est présenté au Festival d’Avoriaz en 1987 et sort dans la foulée sans soulever d’enthousiasme, malgré de belles fulgurances dans sa réalisation.
L’année suivante, il participe au film collectif Aria (1987), puis retrouve Glenda Jackson pour l’adaptation d’une pièce d’Oscar Wilde Salome’s Last Dance (1988), œuvre restée inédite sur notre territoire.
© 1988 White Lair. Tous droits réservés.
Les amateurs de cinéma de l’étrange préfèrent se souvenir du délirant Le repaire du ver blanc (1988) qui a les honneurs d’une présentation à Avoriaz. Le film, très spécial, débarque en pleine crise du cinéma et ne déplace que 8 182 amateurs de bizarreries cinématographiques. L’heure n’est plus au délire dans les salles et les expérimentations de Ken Russell passent mal au cœur des années 90 malgré sa volonté de continuer son œuvre et de rester fidèle à ses obsessions. Il tourne notamment un nouveau film historique au budget cossu : The Rainbow (1989) est un échec commercial cinglant qui le renvoie directement à la case télévision pour des documentaires et des téléfilms.
Retour à la télévision dans les années 90
Pour le cinéma, il signe tout de même La putain (1991) avec Theresa Russell qui est un nouvel échec commercial. La suite de sa carrière se déroule majoritairement à la télévision où son style est encore apprécié. Son film de cinéma suivant, The Fall of the Louse of Usher : A Gothic Tale for the 21st Century (2002) n’est présenté que dans des festivals et ne sort pas en salles. Par contre, en France, le téléfilm Uri (1996) a le droit à une exploitation en salles, alors même que le film est passablement raté. Cette même année 1996, Ken Russell signe un segment du film à sketches Tales of Erotica (1996). On le retrouve aussi à l’affiche du film à sketches horrifiques Trapped Ashes (2006).
Passé de mode depuis plus de vingt ans, Ken Russell s’éteint finalement en 2011 à l’âge de 84 ans. Si les jeunes cinéphiles ont quelque peu oublié cette figure majeure du cinéma britannique, nul doute que son cinéma volontiers outrancier et maniéré restera comme un brillant témoignage des délirantes années 70 dont il fut incontestablement un maître.