Yalda est une réflexion glaçante sur le pardon au sein d’une société perse cinégénique dans ses thématiques douloureuses, à la fois modernes et barbares.
Synopsis : Iran, de nos jours. Maryam, 22 ans, tue accidentellement son mari Nasser, 65 ans. Elle est condamnée à mort. La seule personne qui puisse la sauver est Mona, la fille de Nasser. Il suffirait que Mona accepte de pardonner Maryam en direct devant des millions de spectateurs, lors d’une émission de téléréalité. En Iran cette émission existe, elle a inspiré cette fiction.
Les traditions barbares
Critique : Yalda est une nouvelle illustration douloureuse de la femme meurtrie, sous le joug des traditions barbares. Le cinéma ne manque pas de jalons pour lister les cas de ces femmes outragées. Du turc Yol la permission, chef-d’œuvre palmé de Yilmaz Güney (1982), au tunisien Fatma de Khaled Ghorbal (2001), les décennies passent et les films peignent la couleur locale, dans la douleur et un cruel sentiment d’injustice.
Progrès certain, nous voilà en Iran, terre complexe de modernité et de traditions que d’aucuns qualifieraient d’inhumaines. Une séparation d’Ashgar Farhadi, Ours d’or à Berlin (2011), nous avait montré un état administratif où le divorce était quasiment une formalité au sein d’une nation religieuse que l’on aurait pu croire davantage repliée sur ses préceptes. Yalda, la nuit du pardon est lui aussi la photographie d’une nation moderne. Le second film de Massoud Bakhshi, essentiellement financé par des sociétés européennes, démontre pourtant les dérives d’une société où la pendaison attend l’épouse soumise pour avoir tué accidentellement son notable de mari.
Yalda, le jeu de la mort
Pour dénoncer des pratiques judiciaires pensées par le patriarcat, Yalda, du nom d’une fête locale qui marque l’entrée du peuple perse dans l’hiver, lors de la nuit la plus longue de l’année, le cinéaste utilise l’abjection des programmes de téléréalité, à la mode iranienne. La notion de destin et de pardon devient autant ironique que divine quand une émission de télévision fait de la peine de mort d’une condamnée l’objet d’un talk-show dont la décision de vie et de mort de la jugée coupable sera le dénouement du programme télévisé d’un intense suspense.
Le show met en scène les règlements de compte tempétueux, dramatiques, voyeuristes entre la fille du défunt et son amie bien plus jeune qu’elle accuse d’avoir trahie sa confiance en laissant son père agoniser. Accusations et coups bas se multiplient à l’écran et les fameux SMS des téléspectateurs sont là pour inciter cette femme influente à abandonner l’idée du talion. Ce droit de vie et de mort revêt tout un aspect social et métaphorique, puisque sa jeune “belle-mère” représente, au-delà du statut de femme victime de la manipulation masculine, une classe sociale inférieure qui ne peut dire non.
Un casting éblouissant
L’émission de télévision devient la scène d’un suspense palpitant et implacable. La confrontation par les mots, les larmes et les regards puissants, est surtout celle de deux actrices. L’une froide, au cœur rocailleux (la grande Behnaz Jafari du Tableau noir), l’autre, aux yeux embués, se situant habilement entre révolte, fatalisme, désespoir et contrition forcée pour obtenir un pardon qui ne veut pas venir… C’est Sadaf Asgari, jeune actrice quasi débutante, qui joue le rôle de l’héroïne ; elle, est éblouissante.
Yalda est une œuvre habile. Elle joue de ses décors modernes, froids et intransigeants, que la réalisation utilise pour mieux isoler les protagonistes dans leurs angoisses, celle de pardonner d’un côté, et de l’autre de ne pas réussir à convaincre pour être pardonnée. Le cinéaste Massoud Bakhshi a attendu presque huit ans pour pouvoir réaliser ce second long métrage après le refus de Téhéran de laisser Une famille respectable (2012) être présenté en Iran en raison de son portrait désabusé de la corruption autochtone. L’attente forcée a au moins un point positif : dans ce quasi huis clos aux allures de thriller judiciaire dévoyé, il s’est surpassé.
Sorti en France avec de solides critiques le 7 octobre 2020, Yalda la nuit du pardon a malheureusement été victime de la fermeture des salles françaises en raison du deuxième confinement. Le film d’art et essai avait pourtant convaincu autant de spectateurs en deuxième semaine qu’en première, fort d’un bouche-à-oreille enthousiaste.
Il est désormais disponible en DVD avec un documentaire passionnant sur l’histoire de Téhéran, il ne faudrait pas passer à côté de ce programme formidable.