Véritable bijou du cinéma d’animation, Vieilles légendes tchèques demeure un des sommets en matière de films de marionnettes, preuve du génie créatif du grand Jirí Trnka.
Synopsis : Les vieilles légendes tchèques narrent les origines mythiques du peuple tchèque depuis le premier roi Cech. À travers six contes traditionnels, dans les décors miniatures de la Bohême originelle, les héros accomplissent les exploits qui vont amener à la naissance de leur nation. La nature est féérique, les personnages héroïques, l’univers merveilleux !
Un projet imposé par le pouvoir en place
Critique : Réputé dans le monde entier pour son travail d’animation de marionnettes, le Tchèque Jirí Trnka semble intouchable en ce début des années 50. Effectivement, il a imposé l’école d’animation tchèque au monde entier avec le succès de longs-métrages aussi remarquables que L’année tchèque (1947), Le rossignol et l’empereur de Chine (1948) et Prince Bayaya (1950). De quoi lui offrir une liberté créatrice maximale, du moins en apparence. En réalité, le pouvoir communiste en place depuis le coup de Prague de 1948 cherche surtout à instrumentaliser le cinéaste pour faire de lui une vitrine de l’art tchèque.
Ainsi, Jirí Trnka souhaitait monter une version avec marionnettes de Don Quichotte, projet qui lui tient particulièrement à cœur. Mais malgré son poids de plus en plus important à l’international, Trnka ne parvient pas à imposer ce projet et se voit contraint d’assurer une commande d’Etat. Le responsable culturel est effectivement un inconditionnel des Vieilles légendes tchèques, un ouvrage d’Alois Jirasek datant de 1894 et il demande à Trnka d’en assurer l’adaptation cinématographique. Un sacré défi n’emballant pas vraiment le réalisateur qui doute de parvenir à traduire le souffle épique du roman avec des marionnettes.
Trnka conte la fondation mythique de la nation tchèque
Toutefois, Trnka finit par plier et relève donc le défi de raconter l’histoire légendaire de la nation tchèque à travers plusieurs épisodes. D’ailleurs, Trnka ne s’inspire pas seulement de l’œuvre de Jirasek, mais aussi de passages de la Chronica Boemorum du chanoine Cosmas et d’une œuvre historique de Vladislav Vancura.
Le défi pour Trnka n’était pas tant de raconter plusieurs épisodes distincts de l’histoire mythique du peuple tchèque que de traduire à la fois le pathos, la puissance évocatrice et le lyrisme des fameux épisodes mythiques. Dès le début du film, un constat s’impose : Trnka a parfaitement rempli son cahier des charges et signe une série de tableaux absolument remarquables, dont plusieurs occasionnent de beaux frissons au spectateur.
Un aspect biblique recherché
Si le spectateur français n’est pas nécessairement versé dans l’histoire tchèque, il peut tout de même en suivre les développements narratifs puisque le film se dote d’une dimension quasiment biblique. Ainsi, l’arrivée des premiers tchèques sur la terre jouxtant la rivière Vltava (plus connue en France sous son nom allemand de Moldau, immortalisée par la musique de Bedrich Smetana) est traitée par Trnka comme l’arrivée d’un peuple élu sur une terre promise. Il utilise pour rendre cette impression des attitudes hiératiques et souligne la majesté du moment par des cadrages qui magnifient les actes des marionnettes. Il utilise aussi des couleurs très contrastées et bénéficie d’une musique très inspirée de Václav Trojan.
Si tous les épisodes ne sont pas aussi passionnants à suivre, le spectateur pourra toujours se rassasier des décors splendides qui mélangent maquettes et peintures sur verre d’une beauté époustouflante. L’animation des personnages s’avère plutôt fluide, tandis que celle des animaux est tout bonnement étonnante. On notera d’ailleurs l’incroyable richesse du bestiaire proposé. Cette luxuriance de détails fait d’ailleurs beaucoup pour la crédibilité de l’histoire contée. Certaines séquences relèvent du pur génie, comme celle des voix qui assaillent le pleutre prince Neklan, ou encore la flamboyante bataille finale qui impressionne durablement par le nombre de personnages qui interagissent de manière fluide. Quand on sait qu’il faut manipuler chaque marionnette des milliers de fois pour un seul mouvement, on en reste pantois d’admiration.
Un film remarquable salué en son temps par de nombreux prix
Il est vrai que les thématiques développées par le métrage ne sont pas forcément passionnantes si l’on n’est pas de nationalité tchèque, mais le réalisateur parvient à s’extraire de ce contexte culturel très marqué pour tendre vers l’universel. Lors de certains tableaux, il parvient à chanter la beauté de la vie, l’amour de la nature (même si les animaux doivent être domestiqués ou mourir, autres temps, autres mœurs), ainsi qu’un attachement vraiment sincère à la terre des ancêtres.
Grand classique de l’animation, Vieilles légendes tchèques a été présenté en grandes pompes à la Mostra de Venise où il a obtenu le Lion d’argent du public et une médaille d’argent remise par le président de la Biennale. Le métrage a également fait sensation au festival de Locarno en Suisse, puis au festival de Varsovie en 1955. En France, le film n’est pas sorti immédiatement dans les salles et n’a donc pas eu une grande visibilité auprès du grand public.
A redécouvrir d’urgence grâce au splendide Mediabook d’Artus Films
Il a fallu finalement attendre la sortie providentielle d’un magnifique Mediabook par le valeureux éditeur Artus pour enfin redécouvrir cette merveille quelque peu oubliée. On notera que la copie proposée a été entièrement restaurée et qu’elle est assortie d’un luxueux livre d’une centaine de pages écrites par Pascal Vimenet. Il est d’ailleurs important de préciser que la première partie de cette critique sur le contexte de création de l’œuvre lui doit beaucoup.
Critique de Virgile Dumez