Puissant documentaire à la première personne, Une famille revient sur l’inceste subi par Christine Angot dans son adolescence en tentant de comprendre le silence de l’entourage qui ne pouvait pourtant pas ignorer les faits. Fort et nécessaire.
Synopsis : L’écrivaine Christine Angot est invitée pour des raisons professionnelles à Strasbourg, où son père a vécu jusqu’à sa mort en 1999. C’est la ville où elle l’a rencontré pour la première fois à treize ans, et où il a commencé à la violer. Sa femme et ses enfants y vivent toujours.
A la recherche des témoins du passé traumatique de Christine Angot
Critique : En 2021, l’écrivaine Christine Angot vient de terminer son nouveau roman Le voyage dans l’Est qui évoque une fois de plus l’inceste dont elle a été victime entre ses treize et seize ans par son père. Lorsqu’une tournée des librairies est organisée, Christine Angot se rend compte qu’elle va devoir retourner à Strasbourg où réside la veuve de son père, lui-même décédé en 1999. Elle prend alors son courage à deux mains et choisit de rendre visite à cette dame à l’improviste pour s’expliquer sur son silence de l’époque. Toutefois, elle est assistée dans sa démarche par Caroline Champetier, venue filmer l’entretien à l’arraché.
© 2024 Le Bureau, Rectangle Productions. Tous droits réservés.
C’est à partir de cette séquence initiale absolument tétanisante de violence qu’est venue l’idée de construire tout un documentaire sur les témoignages de ceux qui n’ont pas voulu voir ce qui se tramait sous leurs yeux, plus de cinquante ans plus tard. Dès lors, avec une caméra qui la suit dans tous ses entretiens, Christine Angot rend visite à sa mère, à son ex-mari, lui-même violé durant son enfance, avant de discuter de tout ceci avec sa propre fille.
Une personne sur dix victime d’inceste, dans le plus grand silence
Le tout est entrecoupé de films Super 8 tournés par elle-même au sein de sa propre famille au début des années 90, mais aussi de quelques extraits de la façon dont elle fut reçue par certains médias lors de la publication de son ouvrage séminal L’inceste (1999). L’occasion pour le spectateur contemporain de découvrir l’extrême violence et le mépris de certains présentateurs qui s’amusent au dépend d’une femme qui vient raconter une histoire tragique et traumatisante (notamment dans l’émission de Thierry Ardisson).
Certes, Christine Angot est assurément une personne clivante car elle se présente toujours comme un bloc de ressentiment et de colère face à ses interlocuteurs, ce qui a sans doute desservi son propos à l’époque. Mais il faut rappeler qu’elle fut une des pionnières dans le genre, dénonçant l’inceste dont elle a été victime dans sa propre famille, alors que ce sujet n’était presque jamais abordé dans les médias. On considérait cela comme de l’ordre d’une affaire privée qui n’avait pas à être étalé au grand jour, permettant ainsi au phénomène de se perpétuer de génération en génération. Ainsi, en 2022, une grande enquête a révélé qu’une personne sur dix en France a été victime d’inceste et que 95 % des auteurs sont des hommes. Une statistique qui fait clairement froid dans le dos et qui invite à reconsidérer l’œuvre de Christine Angot comme de nécessité publique.
Qui ne dit mot consent!
Dans Une famille, elle démontre notamment que tous ceux qui savent, mais ne disent rien, sont en réalité des complices de ces crimes. On note d’ailleurs bien l’embarras des femmes interrogées (la veuve et sa mère) qui semblent refuser de voir la réalité en face et qui continuent à défendre le pater familias, déniant à la victime tout droit d’expression. Il s’agit aussi d’une question générationnelle puisque les femmes plus âgées ont été modelées par un système patriarcal où l’on ne remettait pas en cause la probité morale de l’homme, tandis que sa propre fille est la seule à être capable de comprendre sa mère et à recevoir avec bienveillance sa parole dans les dernières scènes très émouvantes du long métrage.
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Réalisé à l’arrache, mais avec une sincérité bouleversante, Une famille serait donc la version documentaire du film Festen (Thomas Vinterberg, 1998). Très fort, parfois dérangeant, toujours troublant et passionnant, cet essai de psychothérapie en direct demeure donc un témoignage de premier ordre sur les ravages occasionnés par l’inceste sur les victimes et leur entourage, et ceci même sur plusieurs générations.
Un joli succès dans le circuit art et essai
D’abord présenté dans plusieurs festivals, Une famille a reçu le Prix du jury des lecteurs du Tagesspiegel à la Berlinale 2024. Par la suite, le documentaire a reçu un accueil plutôt chaleureux de la part des critiques de cinéma et son distributeur Nour Films l’a positionné dans 83 salles d’art et essai pour une sortie le 20 mars 2024. En première semaine, le métrage a attiré 31 632 lecteurs de l’écrivaine dans les salles. Puis, la semaine suivante, ils furent 18 487 retardataires à faire le déplacement, permettant au film de franchir la barre des 50 000 entrées en quinze jours.
En troisième septaine, Une famille tient bon et engrange encore 12 326 entrées. C’est en quatrième semaine que la chute est plus sévère avec seulement 6 234 cinéphiles de plus. Le documentaire choc a quand même tenu l’affiche jusqu’à début juin et a engrangé 78 320 tickets, soit plus du double de ses entrées initiales, preuve d’un bouche à oreille qui a plutôt bien fonctionné et donc d’un intérêt du public pour cette histoire. Au vu d’un budget que l’on imagine très faible, il s’agit donc d’un joli succès de l’art et essai.
Au mois de juillet, un DVD et un blu-ray ont été édité (ils sont disponible sur le site de l’éditeur) et le métrage est également accessible sur les plateformes VOD.
Critique de Virgile Dumez
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© 2024 Le Bureau, Rectangle Productions / Affiche : Le Cercle Noir pour Fidelio. Tous droits réservés.
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Mots clés
Cinéma français, Documentaire, L’inceste au cinéma, Le viol au cinéma, Film féministe