Avec Un soir en Toscane, son cinquième long métrage, le réalisateur polonais Jacek Borcuch explore avec tact l’identité européenne et la montée du nationalisme.
Synopsis : Maria Linde, poétesse et prix Nobel juive polonaise, s’est retirée loin des mondanités et des conventions dans la paisible campagne de Toscane. Elle y vit libre et heureuse, entourée de sa famille, de ses amis et de son jeune amant égyptien. Mais la tension monte dans la vieille Europe comme dans sa petite ville où les réfugiés affluent. Refusant l’hypocrisie ambiante, Maria accepte une ultime remise de prix, et revient dans l’espace public avec une déclaration qui fait scandale.
Critique : La Toscane est sans aucun doute l’une des régions d’Europe à avoir su préserver au mieux sa douceur de vivre. Une cuisine réputée attire les épicuriens tandis que les amateurs de patrimoine culturel se régalent de trésors étrusques, de cités médiévales et d’art renaissance. Les amoureux de la nature ne sont pas en reste.
Dès les plans d’ouverture, une lumière chaude nous charme d’une campagne verdoyante où les champs d’olivier et les vignes se mêlent aux arbres fruitiers. C’est dans ce décor de rêve que vit Maria Linde (Krystyna Janda). Si elle semble mener la vie sereine d’une bourgeoise aisée entre un mari dévoué, une fille avec qui elle entretient des rapports harmonieux, des amis et des petits-enfants, elle se révèle petit à petit féministe et rebelle. D’ailleurs, elle ne s’en cache pas, elle a un amant, le superbe Nazeer (Lorenzo de Moor), un Egyptien qui a l’âge d’être son fils. Toutefois au creux de cette famille rassemblée s’esquissent d’imperceptibles dysfonctionnements.
Une mise en scène précise s’attache à comptabiliser les moindres changements de rythme (un simple mot qui vient semer le doute, une attitude qui se fige) comme autant de nuages noirs s’amoncelant lentement dans un ciel trop bleu. L’insouciance des personnages est bientôt rattrapée par les dérives d’une société qui n’a de cesse de les enserrer dans les griffes de la peur, au nom d’un soit-disant danger imminent venu de l’étranger.
Un soir en Toscane, un film juste sur la peur de l’étranger
Quand le tout jeune fils d’Anna, la fille de Maria, jouée par Kasia Smutniak, demeure introuvable durant de longues heures au point de faire redouter le pire, les regards se tournent furtivement vers Nazeer l’Egyptien, tandis que les paysages environnants eux-mêmes perdent de leur luminosité. L’annonce d’un attentat à Rome décuple encore les fantasmes et la méfiance à l’égard de ces prétendus « sauvages » venus d’ailleurs.
Maria qui, au cours de sa vie, a pu vérifier les ravages de l’antisémitisme et des extrémismes en tous genres refuse de céder à la paranoïa ambiante, provoquant la colère de sa fille dont l’avis diffère. Bien plus, lors d’une remise de prix à la mairie de sa ville, elle prononce un discours controversé qui l’éloigne de sa famille et jette dans l’embarras les élus municipaux. Elle affirme ainsi sa liberté de parole et de pensée, symbolisée par une irrésistible scène de refus d’obtempérer à un contrôle routier.
La flamboyante Krystyna Janda, ex-muse d’Andrzej Wajda, transmet son engagement politique et citoyen avec une force de conviction étonnante. Sensuelle, mâture et élégante, elle capte immédiatement l’attention et n’a aucun mal à se faire le porte-parole de tous ceux qui refusent de se glisser béatement dans le moule de l’intolérance et du repli sur soi. Partagée entre deux visions contradictoires de l’Europe (l’absolue nécessité de régénérer le vieux continent européen par l’apport de nouveaux éléments de culture portée par Nazeer contre les certitudes sclérosées d’un monde opulent et dominateur à bout de souffle incarnées par sa fille), elle charge d’émotion palpable les scènes la présentant en militante combative autant que celles où elle apparaît en citoyenne soucieuse de l’avenir de sa descendance.
Ne se positionnant jamais en juge, le cinéaste a aussi la bonne idée de nous épargner toute lourdeur socio-politique. Il privilégie les relations familiales au cœur desquelles il inscrit son discours et laisse au spectateur le choix de son point de vue, signant ainsi un film juste, digne de réflexion.
Critique : Claudine Levanneur