Luigi Comencini dépasse avec Un enfant de Calabre le classicisme de son histoire pour livrer une œuvre sensible et délicate sur l’enfance. A ne pas négliger.
Synopsis : Dans un petit village de Calabre des années soixante, Mimi, jeune adolescent, ne pense qu’à une chose : courir, pieds nus à travers la campagne. Il court par plaisir. C’est ainsi qu’il attire l’attention d’un vieux chauffeur de car, Felice qui le prend sous son aile malgré l’opposition de Nicola, le père de Mimi qui veut que son fils étudie pour avoir une autre vie que la sienne.
Luigi Comencini revient une fois de plus à son thème de prédilection : l’enfance
Critique : Lorsque Luigi Comencini tourne Un enfant de Calabre en 1987, cela fait quelques années qu’il réalise des œuvres pour la télévision. Victime lui aussi du déclin inexorable du cinéma italien, totalement miné par la concurrence de la télévision, Comencini parvient toutefois à convaincre le producteur Tarak Ben Ammar d’investir dans cette évocation de l’adolescence dans le contexte très dur du Mezzogiorno. Il faut dire que Comencini est devenu un vrai spécialiste de l’enfance au long d’une filmographie où il aligne les chefs-d’œuvre prenant pour héros des gamins. On se souvient ainsi de L’incompris (1966), Casanova, un adolescent à Venise (1969), Les aventures de Pinocchio (1972) et Eugenio (1980). Autant de films splendides qui ont su capter avec élégance les tourments des premiers âges de la vie.
Avec Un enfant de Calabre (1987), Comencini traduit en images une histoire de Demetrio Casile qui se situe dans le sud de l’Italie, à l’orée du miracle italien des années 60. Un lieu qui n’est pas forcément bien connu de Comencini, mais qu’il parvient à retranscrire avec beaucoup de véracité par une attention constante envers les petits détails du quotidien. D’ailleurs, si le spectateur peut craindre à priori un certain académisme par le sujet abordé, Comencini parvient à éviter haut la main cet écueil.
Oui, le récit d’initiation qui voit un jeune garçon lutter contre ses proches pour pouvoir réaliser son rêve (ici devenir coureur) est très classique. Oui, la présence du vieux chauffeur de bus boiteux incarné par Gian Maria Volonté peut faire peur à tous ceux qui en ont assez des films où un vieux grincheux aide un gamin à s’en sortir – un cliché cinématographique à lui tout seul. Pourtant, Luigi Comencini arrive à éviter cela par sa volonté de ne jamais se laisser aller au sentimentalisme et de toujours rester à hauteur de l’adolescent.
Cours, Mimi, cours…
Plus que cette success story apparente, Un enfant de Calabre se hisse au niveau d’une fable sur la capacité de chacun à se surpasser et défier l’ordre établi pour se réaliser soi-même. Fortement marqué par son contexte géographique, temporel et social, le long-métrage est une magnifique description des classes populaires et de la volonté de certains jeunes gens de dépasser leur condition pour tutoyer les sommets. Toutefois, le jeune garçon n’a aucunement conscience de cette revanche sociale qu’il incarne et Comencini se garde bien d’en faire le porte-drapeau d’une quelconque cause. Passionné par la course à pied, le gamin poursuit simplement son rêve, de manière obstinée et quasiment obsessionnelle.
On retrouve ici le goût de Comencini pour les affrontements entre père et fils. Le premier étant incapable d’envisager son rôle de patriarche autrement que par la contrainte et la violence, alors même qu’il aime profondément son fils. On saura gré au comique Diego Abatantuono d’avoir su interpréter avec finesse cette figure paternelle implacable, mais dont le regard trahit le trouble intérieur. Loin d’être réductible à son rôle de figure masculine forte, le personnage brise peu à peu la carapace qu’il s’est forgée, sans doute par imitation de sa propre enfance. Thérèse Liotard incarne quant à elle une figure maternelle plus classique, aimante et attentive aux désirs de son enfant. Enfin, Gian Maria Volonté impose un beau personnage qui, lui, cherche à prendre sa revanche sur une société qui l’a exclu à cause de sa difformité physique.
Un film primé à Venise, mais largement oublié depuis…
Le tour ne serait pas complet sans évoquer la belle prestation du gamin Santo Polimeno qui est une vraie révélation. Il joue de manière très naturelle et juste, tout en assurant sur le plan physique, puisque l’on imagine qu’il a dû passer l’intégralité du tournage à courir. Tourné dans les superbes paysages calabrais, Un enfant de Calabre bénéficie également d’un choix judicieux de morceaux de Vivaldi qui apportent une forme de légèreté élégiaque au long-métrage.
Présenté avec succès au festival de Venise en 1987, le film a obtenu le prix Pasinetti d’interprétation pour Gian Maria Volonté (différent de la coupe Volpi), tandis que Luigi Comencini a reçu un Lion d’or d’honneur, récompensant l’ensemble de sa longue carrière. En France, le film a été un beau succès d’art et essai, suscitant l’enthousiasme des scolaires et réalisant une carrière sur la durée. Dans ces conditions, il est décevant de constater l’absence d’exploitation du long-métrage en vidéo sur notre territoire. Nous n’avons trouvé aucune trace de VHS ou de DVD de ce qui peut pourtant être considéré comme le dernier grand film de Luigi Comencini.
Critique de Virgile Dumez