Péplum plutôt réussi, Ulysse souffre d’une structure narrative éclatée et d’un rythme un peu languissant. Toutefois, il constitue un spectacle recommandable par ses qualités visuelles et le soin général apporté à sa réalisation.
Synopsis : Après le long siège de Troie, Ulysse entame son périlleux voyage de retour vers son royaume, l’île d’Ithaque. De nombreux ennemis vont le retarder dans ce périple: il devra faire preuve de sagesse lors de sa rencontre avec les sirènes, de ruse avec la puissante Calypso, de force s’il veut vaincre l’imposant Cyclope et ainsi poursuivre sa route à travers les pièges du Dieu de la mer, Poséidon. A Ithaque, les habitants s’impatientent du retour de leur roi et pressent sa femme Pénélope à choisir un nouveau mari…
Les années 50 ou la renaissance du péplum
Critique : Le cinéma italien a été dès les origines marqué par une certaine tradition antiquisante. Ainsi, dès les années 10, le genre du péplum s’est imposé sur la péninsule, ainsi que dans le reste du monde. Le genre est toutefois tombé en disgrâce au milieu des années 20, au moment où l’industrie cinématographique transalpine traverse une grave crise.
Après la Seconde Guerre mondiale, le péplum renaît de ses cendres avec quelques films fondateurs comme Fabiola (Blasetti, 1947) ou encore Les derniers jours de Pompéi (L’Herbier, 1949). Le triomphe obtenu par Messaline (Gallone, 1951) encourage les producteurs ambitieux à se lancer dans un genre qui fait recette, d’autant que les Etats-Unis commencent également à exploiter le filon, désormais juteux. En 1951, le film américain Quo Vadis ? (LeRoy) est tourné dans les studios de Cinecittà, confirmant la bonne tenue des infrastructures de production italiennes.
Un péplum fantastique qui exploite la mythologie dans un élan kitsch
De quoi motiver Dino De Laurentiis qui opte pour une adaptation de l’Odyssée d’Homère, mettant en scène les exploits fantastiques d’Ulysse. Loin de chercher à respecter une quelconque vérité historique, les auteurs ont surtout voulu profiter de l’aspect mythologique du poème homérique pour donner libre cours à leur imagination. La datation problématique du poème lui-même permet ainsi aux costumiers et décorateurs de créer un monde grec fantasmé qui mélangerait allègrement toutes les périodes et localités. On retrouve donc ici des éléments de la période mycénienne, mais aussi archaïque et classique, sans qu’aucune logique autre qu’esthétique ne soit à l’œuvre.
Le plus gros défi posé aux artistes était de parvenir à structurer une œuvre par nature éclatée. Les nombreux scénaristes à l’œuvre ont opté pour un énorme flashback central qui permet d’insérer dans la narration des épisodes incontournables comme celui avec le Cyclope ou avec Circé la magicienne. Cette structure quelque peu déséquilibrée pèse sur le résultat final, et notamment sur une première demi-heure assez monotone.
Une présentation des personnages maladroite, compensée par des aventures séduisantes
Effectivement, la présentation des personnages est expédiée en trop peu de temps et Ulysse n’est pas suffisamment caractérisé pour que l’on puisse être en empathie avec son exil. On regrette notamment le résumé frustrant qui est fait du siège de Troie, expédié en quelques plans et une voix off intrusive vraiment maladroite.
Heureusement, dès que le flashback débute, les aventures mythologiques reprennent le dessus et finissent progressivement par emporter le morceau. Il faut dire que Mario Camerini a eu l’excellente idée de ne pas fonder son long-métrage sur les effets spéciaux, mais sur la suggestion. Ainsi, le Cyclope est incarné par un homme grimé qui n’est jamais filmé en même temps que les autres, histoire de simplement suggérer sa taille gigantesque. De même, les sirènes sont réduites à de simples voix que l’on ne visualise jamais. La magie de Circé n’est pas explicitée non plus, ce qui implique l’imaginaire du spectateur, au lieu de tout illustrer par l’image.
D’excellents passages et une interprétation de premier ordre
On notera d’ailleurs la présence de quelques excellents passages comme celui avec Circé dans une ambiance érotico-macabre du plus bel effet, ou encore le final très violent où Ulysse se déchaîne contre les prétendants de Pénélope. Lors de ces moments, Mario Camerini parvient à hisser le spectacle à un très bon niveau. Il est parfois moins inspiré lors de quelques tunnels dialogués bien plus ennuyeux, généralement filmés platement.
Heureusement, le film bénéficie d’une bonne interprétation de la part du fougueux Kirk Douglas. Celui-ci était conscient du potentiel d’un tel rôle et allait d’ailleurs en tirer ses galons de star. La même année, il tourne dans 20 000 lieues sous les mers (Fleischer, 1954) et devient ainsi un acteur de premier plan. Face à lui, Silvana Mangano apparaît un peu raide, mais impose toutefois une belle présence à l’écran, tandis qu’Anthony Quinn fait un méchant très convaincant.
Enorme succès dans le monde entier à sa sortie, Ulysse a attiré plus de 3,2 millions de spectateurs sur le territoire français, confirmant ainsi la popularité nouvelle du péplum, ainsi que l’excellente santé du cinéma transalpin.
Critique de Virgile Dumez