Documentaire musical culte consacré au groupe marocain Nass El Ghiwane, Transes permet de saisir l’intensité des concerts d’un ensemble qui a revitalisé la musique marocaine des années 70-80. Intéressant.
Synopsis : Dans les années 70, le Maroc a connu, grâce à cinq musiciens formés à l’école de la rue et décidés à rompre les « langueurs orientales » envahissantes, une explosion musicale qui devait être pour les jeunes le cri de leurs frustrations et de leur révolte…
Nass El Ghiwane, un groupe marocain majeur
Critique : En 1978, le jeune cinéaste marocain Ahmed El Maanouni signe un tout premier film de fiction intitulé Alyam, Alyam qui évoque la vie d’un petit village du cru. Sélectionné au Festival de Cannes, une première pour une œuvre produite au Maroc, le long métrage tape dans l’œil de la distributrice marocaine Izza Génini installée en France. Elle choisit de sortir le film grâce à sa société Ohra-Sogeav cofondée avec Louis Malle et Claude Nedjar. Durant la projection, la distributrice est frappée par la musique utilisée en bande sonore, issue du groupe marocain Nass El Ghiwane.
Consciente de l’aspect novateur du groupe en question, elle commande un documentaire sur cet ensemble typiquement marocain au réalisateur Ahmed El Maanouni qui va ainsi créer Transes (1981). Pour comprendre l’importance de ce groupe sur le plan national marocain, il faut se souvenir qu’au cours des années 60 et même encore 70, la plupart de la musique entendue au Maghreb était d’origine libano-égyptienne, et donc orientale. Effectivement, les principaux vecteurs de la musique étaient le cinéma – avec en pole position l’Egypte – et les cassettes pirates. Peu, voire pas de place du tout pour une musique locale issue des traditions des pays d’Afrique du Nord.
La revitalisation du style Gnaoua
Or, au début des années 70, le groupe Nass El Ghiwane, alors mené par Boujmîa Hagour (qui décède toutefois en 1974), réinvente la musique marocaine en revenant aux sources de la poésie locale, en réutilisant des instruments traditionnels locaux et en réinventant une musique fondamentalement religieuse. Ainsi, les rythmes utilisés, répétitifs, ont pour but de déclencher une transe mystique largement inspirée du mouvement Gnaoua. La particularité du groupe est de confronter cette musique traditionnelle longtemps enfouie avec des thématiques plus modernes qui touchent la population marocaine, alors marquée par une pauvreté endémique. D’ailleurs, les membres du groupe sont eux-mêmes issus des quartiers les plus pauvres de Casablanca et les thèmes abordés les touchent directement.
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Afin de saisir la ferveur qui entoure le groupe durant les deux décennies 70-80, Ahmed El Maanouni a opté pour de nombreuses captations de concerts, et notamment d’une spectaculaire prestation à Agadir où le public venu en masse semble comme gagné par une transe digne des heures les plus folles de la Beatlesmania. Cette multiplication de passages musicaux offre une magnifique plateforme pour le groupe, au risque de lasser ceux qui ne goûtent guère cette musique maghrébine aux rythmiques répétitives.
Un documentaire qui manque parfois de didactisme
Certes, Ahmed El Maanouni entrecoupe ces longs morceaux par quelques entretiens avec les différents membres du groupe et par quelques images d’archives – notamment des obsèques du roi Mohammed V – mais l’ensemble peut apparaître un petit peu frustrant pour le néophyte qui souhaiterait en connaître davantage sur les origines de cette ferveur.
Dans Transes, on saisit toutefois l’origine populaire des membres du groupe, tandis que l’on assiste à des séances de composition et d’enregistrement d’album. Le spectateur saisira au bond des bribes de tensions au sein du groupe quant à la rémunération de leur travail, miné par le trafic de cassettes pirates – un fléau qui touche l’ensemble du continent africain. Toutefois, quelques explications complémentaires manquent sans doute à l’appel pour faire de Transes le documentaire ultime sur le sujet.
Une œuvre sauvée de l’oubli par Martin Scorsese
Il a toutefois eu le grand mérite de conserver sur pellicule des prestations scéniques formidables et s’inscrit donc logiquement dans la politique de préservation du patrimoine initiée par Martin Scorsese avec son World Cinema Project. On notera d’ailleurs que Transes est le tout premier film à avoir bénéficié d’une restauration en 2K grâce à cette fondation, au point d’être à nouveau projeté à Cannes en 2007 dans le cadre de Cannes Classics, après un premier passage en 1981.
On notera par ailleurs que Transes est sorti en salles en France dès le mercredi 27 janvier 1982 grâce à la distributrice et productrice Izza Génini. Depuis, il a été édité en version restaurée par Carlotta Films, d’abord en DVD en 2012, puis au sein du coffret blu-ray consacré au World Cinema Project de Martin Scorsese.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 27 janvier 1982
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Mots clés
Cinéma marocain, Documentaire musical, Les groupes de musique au cinéma, Festival de Cannes 1981