The Last Hillbilly est l’évocation déstabilisante des laissés-pour-compte d’une Amérique désunie à laquelle seul Donald Trump, fin stratège, a su parler pour saisir le pouvoir. Le documentaire parvient à un degré de réflexion et d’empathie que peu de journalistes ont su apporter ces dernières années aux USA. Un complément d’actualité à l’essence cinématographique formidable.
Synopsis : Dans les monts des Appalaches, Kentucky de l’Est, les gens se sentent moins Américains qu’Appalachiens. Ces habitants de l’Amérique blanche rurale ont vécu le déclin économique de leur région. Aux États-Unis, on les appelle les «hillbillies» : bouseux, péquenauds des collines. The Last Hillbilly est le portrait d’une famille à travers les mots de l’un d’entre eux, témoin surprenant d’un monde en train de disparaître et dont il se fait le poète.
Critique : Véritable objet de fascination dans sa forme, son utilisation d’un score atmosphérique, The Last Hillbilly est du cinéma, avant même d’être un documentaire. Du vrai cinéma qu’il serait dommage de diminuer comme étant un avatar du cinéma du réel de plus.
Un cauchemar sociologique à hauteur d’état
The Last Hillbilly est aussi un cauchemar sociologique qui montre le vrai visage d’une Amérique de culs-terreux, les Hillbillies, qui voterait majoritairement pour Trump. Le film nous plonge donc dans les stéréotypes, au milieu des Rednecks et autres consanguins de la côte est, les ravagés du cerveau qui noient leur médiocrité d’être dans la drogue, l’alcool, le rejet de l’autre…
Par delà les stéréotypes, la réalité du terrain
Le portrait des protagonistes du Kentucky que dépeignent les deux réalisateurs du métrage, Diane Sara Bouzgarrou et Thomas Jenkoe brosse bien des lieux communs que nous avons tous en tête en France, mais que les Américains cultivent eux-mêmes entre états, à l’égard des électeurs types de l’ancien président américain.
Le protagoniste central du projet, Brian Ritchie, en est conscient et, d’un pessimisme constant, souligne les drames d’une région, son Kentucky natal, terreau de mal-être et de misère dont rien de bon ne peut vraiment ressortir. La faute aux autochtones? Pas vraiment. Le patriarche est en tout cas conscient de ces clichés et ne cherchera pas à les déboulonner.
Copyrights : 2020 – Films de Force Majeure
L’Amérique outragée
L’Amérique de The Last Hillbilly est repliée sur elle-même, engoncée dans son ignorance ; elle vide de sa substance le mythe américain, celui d’un ascenseur social et de réussites incroyables qui ont changé le pays.
Exploitée, abusée, outragée, puis oubliée, cette Amérique a été précipitée dans sa perte par les industriels, les politiciens qui sont venus, ont tout pris, et ont abandonné ces fils de pionniers sans jamais envisager le partage ou la réparation pour un certain crime commis contre une humanité du terroir.
Les documentaires au cinéma
Le terreau de misère de l’électorat de Donald Trump
Peut-on s’intéresser à cet électorat prédisposé à voter Trump et lui trouver des circonstances atténuantes, dans le contexte de la prise d’assaut du Capitole par une Amérique haineuse, raciste, abrutie, que d’aucuns qualifieraient d’abjecte? Peut-on éprouver de l’empathie pour ces protagonistes, visage alternatif d’une Amérique qui nous rebute?
Au résultat du travail humain et artistique du couple de réalisateurs, aux idées progressistes, et qui s’est lié d’amitié avec le poète du terroir du Kentucky, Brian Ritchie, lors de vacances dans l’état américain, la réponse est largement oui.
Les deux naturalistes de l’image font le constat d’une société dévastée avec un pessimisme de ton qui plombe la projection. Leur peinture grise d’un état anciennement industriel et minier, reposant sur le charbon, économie que Donald Trump a voulu ressusciter à des fins électoralistes, nous fait réfléchir aux rimes et aux élocutions d’un homme qui relate non seulement déchéance et déterminisme, mais surtout l’abandon d’une Amérique toute puissante, qui est venue, a utilisé leur labeur pour exploiter leurs terres, puis est repartie profiter de la fortune extraite, coupant tout espoir de progrès social et abandonnant de ce fait la populace locale à une dégénérescence inéluctable.
Oubliez les minorités et ouvrez-vous à la misère des oubliés de la société
Oubliez les Afro-américains, les combats LGBTQ+++, la rage des femmes d’Hollywood et des milieux culturels favorisés. Oubliez un instant toutes les grandes causes qui ont su trouver dans les plateformes et les médias progressistes un écho bienveillant. Ils ont déjà soulevé des vagues de protestation dans les années 60 et continuent à agiter les consciences pour davantage d’égalité, d’équité. Tant mieux.
Les curieux protagonistes de The Last Hillbilly – titre en forme de requiem infirmé par la musique pesante sur des images naturalistes dépressives -, eux, n’ont jamais eu l’occasion d’exprimer leur désarroi, ailleurs que dans le repli communautaire. Pas assez cultivés pour s’unir, diminués par une éducation régressive où les armes, depuis les années 90, prennent le pas sur la raison, par ennui ou héritage culturel, où l’obésité frappe les plus jeunes vivant pourtant au milieu d’une nature que l’on pourrait croire bénéfique à leur développement, et au rapport à la nourriture. Il n’en est rien tant leur indigence est un terreau de misère.
Dark Waters
Dès les premières scènes, l’insistance sur la mort d’animaux dans différents points d’eau en dit long. Il s’agit là de cette Amérique empoisonnée à sa source, celle décrite dans des films comme Dark Waters, que la fracturation hydraulique pour l’exploitation du gaz de schiste et les engrais chimiques ravagent de l’intérieur.
Le portrait n’est pas reluisant. Le look improbable d’hommes en treillis, à la coupe mulet, crée un fossé immédiat entre le spectateur et l’objet du film ; il inspire la méfiance, pour ne les avoir que trop vus dans le complotisme lors des dernières campagnes présidentielles. Et pourtant, le couple de documentaristes établit le portrait sans phare d’une Amérique qui, avant les manipulations autoritaires de Trump, n’avait jamais eu de porte-parole politique.
Copyrights : 2020 – Films de Force Majeure
Méprisés par les Démocrates, peu enclin à s’aventurer du côté des Républicains et d’un système qui ne profite qu’aux nantis à des hauteurs stellaires, ces petites gens de la misère croupissent dans leur turne, en famille. Ils boivent et se droguent pour oublier le mépris d’une société qui les a physiquement détruits à l’arrivée de leurs grands parents pour profiter des richesses souterraines. Leur péché originel? Avoir été des pionniers valeureux qui ont eu la naïveté de croire que leur engeance allait pouvoir profiter de leur labeur. Encore des stéréotypes? Brian Ritchie les valide.
Portait d’une fin de race
Portrait d’une fin de race, incompatible avec la société urbaine et moderne, inadaptée à l’ouverture sur le monde, The Last Hillbilly, au détour de vers ataviques que Brian Ritchie partage, tel un narrateur omniscient, dépeint la misère totale : financière, physique et morale. La peinture des locaux donne froid dans le dos. Un homme tape sa femme, la blesse au fusil. Il se suicide. Certains essaient de partir pour des études, mais reviennent toujours, inadaptés au monde extérieur. Certains font de la taule. La drogue est là. L’alcool aussi. Dans cette ruralité d’un état sauvage vaste, le courroux du destin ne peut être qu’effroyable.
Confiné à l’air libre
Derrière des moments d’humanité forts, les protagonistes observés, jusqu’aux enfants dans une prison verte et si grise, confinés dans un ennui qui durera bien au-delà d’une épidémie de coronavirus, nous interpellent dans notre confort. Ils nous déstabilisent. Comme pour nos mômes des banlieues qui montrent leur faille et la complexité de leurs souffrances lors d’apartés, de discussion en tête-à-tête, hors du groupe, ces personnalités individualisées, interpellées dans l’intimité, sont autant d’âmes que la société a volontairement égarées et qui semblent condamnées à ne jamais être l’objet d’une cause nationale, de grands plans de relance pour leur faire espérer, au-delà des délires mélagomaniaques d’un autocrate fou, une réinsertion dans une Amérique unie.
The Last Hillbilly est sombre de pessimisme
Ce magnifique drame naturaliste sait déstabiliser, jusque dans sa forme et sa musique impressionnante de beauté sombre. Il ose aller au-delà de clivages politiques et des stéréotypes du milieu franco-parisianiste. Il se fait l’écho d’une société complexe où l’on n’ose imaginer la souffrance dissimulée des femmes et des minorités au sein de cette communauté déjà gangrenée, hors de notre temps moderne, et vouée à la disparition dans la honte et l’opprobre.
The Last Hillbilly était le plus hardi des documentaires, son sujet l’un des plus casse-gueule, il en ressort comme l’un des plus forts vus ces dernières années, avec, pour sa scène finale, un appel à l’aide d’un jeune garçon dont la puissance métaphorique est juste inoubliable.
Critique de Frédéric Mignard