Sur fond de mixité ethnique et sociale, une bande de filles futées découvre la force de l’amitié et de la solidarité face aux mauvaises surprises de la vie. Rocks assure.
Synopsis : Rocks, 15 ans, vit à Londres avec sa mère et son petit frère. Quand du jour au lendemain leur mère disparait, une nouvelle vie s’organise avec l’aide de ses meilleures amies. Rocks va devoir tout mettre en oeuvre pour échapper aux services sociaux.
Critique : En 2015, Sarah Gavron plaidait déjà la cause des femmes dans son deuxième film les Suffragettes, mettant en avant leur courage et leur détermination à faire reconnaître leurs droits civiques dans cette Angleterre austère du début du 20ème siècle. Cette fois, si l’action se déroule toujours à Londres, elle se situe dans ce XXIe siècle qui reconnaît à la gente féminine le droit d’organiser sa vie en toute liberté, au prix parfois de nouvelles expériences douloureusement inattendues. Si le récit commence telle l’une de ces chroniques adolescentes dont le cinéma international est friand, il bifurque vite vers le réalisme social britannique, lorgnant très largement vers l’esprit Ken Loach, en version allégée cependant. Car ici, la joie et la bonne humeur dominent même si tout n’est pas gai.
La découverte par Olushola de la lettre et des quelques billets de banque laissés par sa mère qui, renvoyée de son travail et dépassée par les problèmes quotidiens, a décidé de quitter l’appartement familial, signe pour elle le basculement des petits soucis propres à cette période charnière qu’est l’adolescence, vers des responsabilités d’adultes auxquelles elle n’est nullement préparée mais qu’elle entend bien gérer seule.
Depuis toujours, Olushola est surnommée Rocks en référence à son tempérament de battante. Digne et fière, elle impose tant bien que mal à son petit frère Emmanuel, un garçon vif et drôle, un mode de vie discret, afin que personne ne remarque l’absence prolongée de leur mère. Ce qui n’empêchera pas la voisine d’appeler les services sociaux, contraignant Rocks et Emmanuel à trouver un abri plus sûr. C’est à son amie Sumaya, d’origine somalienne, qu’elle demande asile. Mais dans cette maison où les membres de la famille vivent en harmonie et où règne une ambiance de fête due aux préparatifs du mariage du frère, sa propre solitude lui apparaît encore plus insupportable. Elle se dispute alors avec son amie qui ne comprend pas sa réaction. Et puisque dans nos sociétés bien cadrées, tout franchissement des normes est immédiatement repéré, ses tentatives de fuite seront, à chaque fois, infructueuses jusqu’au moment où l’une de ses camarades de classe, sincère mais trop confiante envers les institutions de son pays, mettra bien involontairement fin à sa course vers l’isolement. Finalement, dans un bel élan d’amitié et de solidarité, ces jeunes filles se rassembleront pour permettre à Rocks d’envisager l’avenir sous un nouvel angle.
Des scènes courtes et rapides nous transportent sans temps mort d’un lieu à un autre, imprimant un rythme virevoltant, à l’image de ces demoiselles animées d’une inaltérable énergie communicative. Les séquences tournées dans l’école entre discussions mouvementées avec les professeurs et détournement du cours de cuisine en bataille géante, ainsi que les nombreux plans de danse et de chant, font tout le sel de cette comédie sociale délibérément placée sous le signe de l’enthousiasme. Une soif d’optimisme à tout crin qui va paradoxalement faire prendre au scénario quelques invraisemblables libertés avec la réalité. Soucieuses de toujours se concentrer sur la force de caractère de leur héroïne, les scénaristes ne s’embarrassent guère des questions matérielles pourtant sous-jacentes. De la même manière, la réconciliation expresse avec celles qui, il y a peu, rejetaient violemment une Rocks non conforme, pose question. Ces quelques écarts sont heureusement vite comblés par la prestation impériale de la jeune et non professionnelle Bukky Bakray. Pivot central de cette tranche de vie, elle insuffle à juste dose vulnérabilité et puissance à ce personnage à la complexité attachante.
Bien que ne revendiquant aucun aspect féministe, ce nouveau long de Sarah Gavron ressemble bien à un hommage à toutes celles qui, comme les suffragettes chères à la réalisatrice, grâce à leur combat entamé il y a cent ans, ont bel et bien débarrassé les générations féminines actuelles de tout carcan de soumission. L’esprit de liberté qui flotte sur Rocks en atteste.