Prisonniers de la terre : la critique du film et le test blu-ray (1948)

Drame social, Mélodrame | 1h27min
Note de la rédaction :
8/10
8
Prisonniers de la terre, l'affiche argentine

  • Réalisateur : Mario Soffici
  • Acteurs : Francisco Petrone, Ángel Magaña, Elisa Galvé, Roberto Fugazot
  • Date de sortie: 15 Déc 1948
  • Année de production : 1939
  • Nationalité : Argentin
  • Titre original : Prisioneros de la tierra
  • Titres alternatifs : Prisoners of the Land (Canada) / Więźniowie ziemi (Pologne) / Prisioneiros da Terra (Brésil)
  • Autres acteurs : Homero Cárpena, Raúl De Lange
  • Scénaristes : Ulises Petit de Murat, Darío Quiroga
  • D'après : des contes de Horacio Quiroga
  • Monteur : Gerardo Rinaldi
  • Directeur de la photographie : Pablo Tabernero
  • Compositeur : Lucio Demare
  • Chef Maquilleur : -
  • Chef décorateur : Ralph Pappier
  • Directeur artistique : -
  • Producteur : Olegario Ferrando
  • Producteurs exécutifs : -
  • Société de production : Pampa Film
  • Distributeur : Film distribué en France uniquement en province. Distributeur inconnu.
  • Distributeur reprise :
  • Date de sortie reprise :
  • Editeur vidéo : Carlotta Films (en coffret blu-ray uniquement, 2024)
  • Date de sortie vidéo : 17 septembre 2024 (en coffret uniquement)
  • Budget :
  • Box-office France / Paris-Périphérie :
  • Box-office nord-américain / monde :
  • Rentabilité :
  • Formats : 1.37 : 1 / Noir et Blanc / Son : Mono
  • Illustrateur/Création graphique : © L'Etoile Graphique (blu-ray). Tous droits réservés / All rights reserved
  • Crédits : © Museo del ciné Pablo Ducros Hicken. Tous droits réservés / All rights reserved
Note des spectateurs :

Bijou du cinéma argentin restauré par la fondation de Martin Scorsese, Prisonniers de la terre est une œuvre sociale majeure, forte d’une écriture nuancée et d’une interprétation magistrale de l’ensemble du casting. A découvrir au sein du magnifique coffret World Cinema Project édité par Carlotta Films.

Synopsis : Dans les plantations de « yerba maté » de Misiones, au nord-est de l’Argentine, la vie misérable des ouvriers agricoles. L’un d’eux ayant été châtié par un contremaître, une rébellion éclate…

Retour sur l’âge d’or du cinéma argentin dans les années 30

Critique : Au début des années 30, l’arrivée du parlant a profondément déstabilisé les cinématographies naissantes des pays d’Amérique latine. Au milieu de ce marasme, seule l’Argentine a su négocier ce virage avec succès. Ainsi, le premier film parlant argentin a pour titre Muñequitas porteñas, tourné en 1931 par José A. Ferreyra. Dans ce long métrage, le cinéaste permet de faire découvrir un nouvel acteur de talent nommé Mario Soffici.

Pourtant, cet Italien de naissance arrivé en Argentine dès l’âge de 9 ans a d’autres ambitions que de jouer pour les autres. Dès 1935, il entame une seconde carrière en tant que réalisateur, au sein d’une industrie cinéma prospère, malgré une situation politique instable puisque l’Argentine traverse les troubles de ce que l’on a appelé la Décennie infâme (1930-1943). Ainsi, Mario Soffici a réalisé plusieurs longs métrages à succès, dont les thèmes sociaux tranchent avec ses confrères, plutôt versés dans la romance roucoulante à base de numéros musicaux. Le meilleur film de son auteur – et pour beaucoup le meilleur de toute cette période de l’âge d’or du cinéma argentin – est sans aucun doute Prisonniers de la terre (1939).

Une dénonciation de la situation des mensú

Ce film s’inspire de trois nouvelles écrites par l’écrivain uruguayen Horacio Quiroga qui a séjourné dans la province de Misiones en plein cœur de la forêt tropicale au début du siècle. Il fut ainsi le témoin privilégié de la situation sociale désastreuse de ceux que l’on appelle mensú. Il s’agissait de travailleurs sous contrat dans les plantations de yerba maté au cœur de la jungle du nord de l’Argentine. Leur nom vient du fait qu’ils étaient payés au mois (mensualero).

World Cinema Project, détails du coffret Carlotta

© 2024 Carlotta Films / Jaquette : L’Etoile Graphique. Tous droits réservés.

Situé en 1915, l’intrigue de Prisonniers de la terre suit donc le périple de plusieurs personnages qui quittent la civilisation pour aller travailler dans ces fameuses plantations. Parallèlement à quelques mensú, le spectateur fait également connaissance avec leur implacable contremaître, un médecin alcoolique et sa fille. Dès le début du long métrage, le réalisateur crée une ambiance tendue où la fracture sociale béante joue un rôle central. Les fameux mensú sont traités comme du bétail par leurs patrons qui ne voient en eux qu’une bande d’analphabètes taillables et corvéables à merci.

Un mélodrame certes, mais qui lorgne du côté de la tragédie

Au milieu de cette horde de crève-la-faim, le personnage d’Esteban Podeley (interprété avec charisme par Ángel Magaña) se distingue des autres par sa capacité à réfléchir et à lire un bouquin. Il apparaît donc comme un opposant naturel au terrible contremaître joué avec magnificence par l’excellent Francisco Petrone. L’opposition entre les deux hommes devient inévitable en ce sens qu’elle symbolise à elle toute seule la lutte des classes. Toutefois, les auteurs échappent rapidement à cette binarité en proposant quelques scènes qui humanisent le contremaître.

D’ailleurs, cette qualité d’écriture est manifeste à chaque instant de ce qui n’aurait pu être qu’un énième mélodrame sentimental. Certes, l’amour vibrant entre le mensú et la fille du médecin sonne un peu comme un cliché typique du cinéma des années 30, mais l’impossibilité de cette liaison en raison de leurs origines sociales frappe le film du sceau de la tragédie. De même, le fameux médecin est un homme totalement brisé qui noie son désespoir dans l’alcool. Ni lâche, ni méprisable, le personnage est surtout décrit comme un être en bout de course, ce qui le rend profondément humain.

Prisonniers de la terre, une œuvre humaniste très engagée

Décrivant avec beaucoup d’attention le travail harassant des mensú, le cinéaste en profite également pour dénoncer une forme de racisme, ou du moins de discrimination, envers les peuples autochtones, ici les guaranis. Si l’on ajoute à cela une critique de l’exploitation de l’homme par l’homme, Prisonniers de la terre est assurément une œuvre très engagée. Cela sera confirmé par le film suivant du cinéaste (Héroes sin fama) réputé pour être particulièrement virulent sur le plan politique, ainsi que par ses accointances avec le mouvement politique FORJA (ou Force radicale d’orientation de la Jeunesse Argentine) qui entendait dénoncer le néocolonialisme des puissances étrangères sur l’Argentine.

Réalisé avec un savoir-faire que ne renieraient pas les meilleurs artisans hollywoodiens de l’époque, Prisonnier de la terre bénéficie également d’une interprétation de premier ordre. Outre Francisco Petrone et Ángel Magaña déjà cités, nous pouvons saluer la prestation habitée de Raúl De Lange en médecin alcoolique bouleversant ou encore Elisa Galvé en jeune fille ingénue dont le destin tragique émeut. Parfois teinté d’une grande mélancolie, notamment grâce à la musique composée par Lucio Demare, Prisonniers de la terre n’a donc pas usurpé son excellente réputation, au point d’avoir été considéré pendant longtemps comme le meilleur film argentin de tous les temps.

Beau succès dans son pays d’origine, Prisonniers de la terre serait parvenu jusqu’en France au mois de décembre 1948 pour une diffusion limitée dans quelques villes de province. Depuis ce temps lointain, le métrage n’a pas été exploité, mais on peut le découvrir désormais en version restaurée dans le magnifique coffret blu-ray Martin Scorsese : World Cinema Project, édité par Carlotta depuis le mois de septembre 2024.

Virgile Dumez

Les sorties de la semaine du 15 décembre 1948

Acheter le coffret blu-ray World Cinema Project

Prisonniers de la terre, l'affiche argentine

© 1939 Museo del ciné Pablo Ducros Hicken. Tous droits réservés.

Biographies +

Mario Soffici, Francisco Petrone, Ángel Magaña, Elisa Galvé, Roberto Fugazot

Mots clés

Cinéma argentin, Mélodrame, Les histoires d’amour malheureuses au cinéma, La jungle au cinéma, L’Amérique du Sud au cinéma

Le test du blu-ray de Prisonniers de la terre, dans le coffret World Cinema Project

L’ambitieux éditeur Carlotta propose de découvrir huit films du patrimoine mondial restaurés par la fondation de Martin Scorsese nommée World Cinema Project. Le coffret comprend les films suivants :  Les Révoltés d’Alvarado; Prisonniers de la terre; La Loi de la frontière; La Femme au couteau; Huit coups mortels; Muna Moto; Transes; La Flûte de roseau. Test réalisé à partir du produit finalisé.

Packaging & Compléments du coffret : 4 / 5

Le coffret s’ouvre sur un superbe digipack révélant trois volets où sont inclus les six blu-ray de cette belle collection de pépites mondiales inédites. Chaque film bénéficie en outre d’une présentation de trois minutes de Martin Scorsese qui revient rapidement sur la carrière de son réalisateur et sur le contexte de création du film. En outre, certains films bénéficient d’autres suppléments. C’est le cas de Les Révoltés d’Alvarado, de Transes et de La flûte de roseau qui ont le droit à un traitement de faveur avec des bonus allant de 20 à 30 minutes.

En ce qui concerne Prisonniers de la terre, Martin Scorsese y va de sa petite présentation en évoquant rapidement la carrière du grand Mario Soffici et en insistant sur la dimension sociale d’un long métrage resté dans les mémoires en Argentine.

L’image de Prisonniers de la terre : 4 / 5

Le film, pourtant daté de 1939, apparaît dans toute sa magnificence tant la restauration est réussie. Certes, quelques passages sont légèrement moins probants à cause des diverses sources utilisées pour reconstituer cette copie, mais l’ensemble est incroyablement performant. La précision de l’image est chirurgicale, avec un piqué d’une grande finesse, tandis que le léger grain cinéma vient agrémenter l’œil. Les passages plus sombres souffrent davantage, notamment sur les bords du cadre, mais les noirs demeurent profonds, tandis que le noir et blanc a été parfaitement contrasté. La découverte est donc optimale.

Le son de Prisonniers de la terre : 4 / 5

Le mono d’origine a été rehaussé en DTS-HD Master Audio et la restauration a permis d’effacer toute trace de souffle. Bien entendu, les voix peuvent être parfois un peu nasillardes, ce qui est normal au vu des prises de son de l’époque, et la musique peut parfois donner le sentiment d’être restituée de manière brouillonne, mais rien qui entrave véritablement le confort de visionnage. On est donc plutôt sur un rendu de haute volée pour un film aussi ancien. Bien entendu, aucune version française n’est disponible, ce qui ne choquera pas le public de ce type de coffret, avant tout destiné aux cinéphiles désireux de parfaire leur culture.

Test blu-ray : Virgile Dumez

World Cinema Project, jaquette blu-ray

© 2024 Carlotta Films / Jaquette : L’Etoile Graphique. Tous droits réservés.

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