Retour sur la dictature roumaine de Ceausescu dans Radio Metronom qui décrit avec finesse le processus de rétrécissement des libertés par l’intimidation, les pressions et les violences psychologiques et physiques. A voir.
Synopsis : Bucarest, 1972. Ana a 17 ans et rêve d’amour et de liberté. Un soir, elle rejoint ses amis à une fête où ils décident de faire passer une lettre à Metronom, l’émission musicale que Radio Free Europe diffuse clandestinement en Roumanie. C’est alors que débarque la police secrète de Ceausescu, la Securitate…
Plongée dans la Roumanie du dictateur Ceausescu
Critique : Documentariste roumain qui a acquis une belle réputation au cours des années 2010 – notamment grâce à son essai Cinéma, mon amour (2015) – Alexandru Belc a d’abord souhaité consacrer un documentaire à l’émission Metronom qui était diffusée au début des années 70 par Radio Free Europe qui inondait les ondes de l’Europe de l’Est sous le joug communiste. Toutefois, à force de travailler sur ce sujet et de cumuler les documents, le cinéaste a progressivement opté pour la fiction pour la première fois de sa carrière. Ainsi lui est venue l’idée d’imaginer un groupe de lycéens roumains pris en flagrant délit d’écoute de la radio interdite par le pouvoir autoritaire de Ceausescu. Dès lors, les adolescents se retrouvent aux prises avec la Securitate, organe de répression terrible qui a marqué au fer rouge la société roumaine.
Dans Radio Metronom (2022), Alexandru Belc ne se départit pas d’un certain goût pour les archives puisqu’il opte visuellement pour des images volontairement ternes, comme délavées, au cadrage très carré (1.37) qui entend coller à l’époque évoquée. Afin d’être encore plus proche de cette esthétique, il a tenu à tourner en pellicule 35mm et a imaginé des plans séquences assez savants, jouant sur la durée des scènes pour créer une ambiance soit feutrée (les jeunes dans l’appartement, seul espace de pseudo liberté), soit oppressante (les bureaux froids et impersonnels de la Securitate).
Une première demi-heure inégale
Dans sa première partie, Radio Metronom invite le spectateur à suivre un groupe de lycéens qui envisagent de se réunir pour écouter de la musique occidentale interdite par le pouvoir. On notera que dans cette première partie, le cinéaste a malheureusement employé des acteurs d’une vingtaine d’années qui s’avèrent peu crédibles en uniformes de lycéens. Ils apparaissent comme un peu trop âgés pour tenir ces emplois et tendent à affaiblir cette première demi-heure placée sous le signe de l’insouciance de la jeunesse. Toutefois, le jeune couple au centre du film parvient à séduire le spectateur et à créer une intimité réelle qui touche immédiatement. L’histoire tragique qui s’ensuit peut dès lors commencer.
Photo recadrée pour le format bande-annonce © Strada Films, Midralgar & Chainsaw Europe Studio
Effectivement, Alexandru Belc ramène tout ce joli monde à la dure réalité au bout d’une trentaine de minutes avec l’intervention, lors de la fête menée tambour battant par la musique des Doors, de la Securitate qui embarque tout le monde. Dès lors, Radio Metronom révèle son but véritable, à savoir décrire avec une certaine subtilité les manœuvres du pouvoir pour parvenir à juguler toute liberté dans le pays. Certes, Belc décrit ici le système roumain des années 70, mais son analyse pourrait s’appliquer à n’importe quel régime autoritaire.
Une description fine et juste du processus totalitaire
Agissant par la menace, l’intimidation, la terreur psychologique et physique, la Securitate apparaît comme un organe tout puissant pouvant décider de la vie et de la mort des individus. Par cette méthode, ils parviennent sans mal à recruter des agents au sein de la population, tout en faisant chanter le restant par des intimidations odieuses. A l’heure de la résurgence dans de nombreuses régions du monde d’une forme moderne de totalitarisme, Radio Metronom apparaît donc comme une piqure de rappel salvatrice. Le métrage devrait d’ailleurs être projeté à la jeunesse d’aujourd’hui, apparemment prête à replonger dans les bras des pires populistes, pour lui montrer la réalité de ces régimes tortionnaires.
Efficace sans être choquant, Radio Metronom ne va sans doute pas jusqu’au bout de sa dénonciation en demeurant toujours dans le hors champ et la suggestion. Mais c’est également sa grande qualité que de ne pas sombrer dans le film à thèse et de ne jamais oublier la psychologie de ses personnages malmenés. Il s’agit assurément d’une belle réussite, ne serait-ce que par la justesse de sa reconstitution d’une époque sombre de l’histoire roumaine.
Un film d’auteur passé inaperçu dans les salles
Présenté avec succès dans la section Un Certain Regard du Festival de Cannes 2022, Radio Metronom est reparti avec le Prix de la mise en scène. Cela lui a permis d’être ensuite diffusé dans une quarantaine de salles françaises au mois de janvier 2023 par les bons soins de Pyramide Distribution. Malheureusement, ils ne furent que 71 spectateurs dans les 4 salles parisiennes lors de la séance de 14h du 4 janvier 2023.
Pour la journée entière sur la France, le distributeur n’a vendu que 1 651 tickets, ce qui démontre un désintérêt évident du public pour le film. Au bout de ses neuf semaines d’exploitation, le film a tout de même réussi à doubler ses entrées de la première semaine avec 14 772 Roumains dans les salles. Il s’agit d’une réelle déception par rapport au potentiel d’un tel film dans le réseau art et essai.
Critique de Virgile Dumez
Notes cannoises :
Le cinéma roumain s’enrichit avec Radio Metronom, d’un nouveau cinéaste, Alexandru Belc. Cet ancien collaborateur de Cristian Mungiu et Corneliu Porumboiu, qui livre ici sa première fiction, se démarque avec une histoire forte où l’on retrouve l’importance du regard sur le passé, celui qu’il portait dans Cinéma, mon amour, documentaire et ode aux salles de cinéma.
Dans Radio Metronom, le sujet est politique, car il convie une jeunesse à se révolter, à résister face à la dictature de Ceaucescu. Dans un premier temps, sur un plan culturel, par la musique diffusée clandestinement par Radio Free Europe. Le titre du film, Metronom, fait ainsi éloquemment référence à une émission qui vendait du rêve à une jeunesse corsetée. Mais derrière l’insouciance esquissée par les lycéens, la police, les autorités, la Securitate donc, met la pression, strangule par l’oppression d’un régime qui perdurera bien au-delà de 1972, date de ce film salué par la critique et les différents festivals où il a été présenté. Le plus prestigieux, Cannes en mai 2022.
Pyramide Films propose Radio Metronom dans 40 cinémas le 4 janvier 2023. Dans le contexte d’une Russie autoritaire qui envoie sa jeunesse sur le front ukrainien, ce vent de liberté sonne comme une nécessité.
Notes cannoises de Frédéric Mignard
Tous les films de Cannes 2022
Un Certain Regard 2022
Sorties de la semaine du 4 janvier 2023
Affiche © 2022 Rory Kee – Pyramide Distribution / © Strada Films, Midralgar & Chainsaw Europe Studio