Injustement oublié, L’Ombre des châteaux mérite d’être redécouvert pour sa générosité et son charme sombre. En s’attachant à des êtres frustes, Daniel Duval fait le pari, partiellement réussi, d’entraîner son spectateur dans une errance désespérément humaine.
Synopsis : Dans le nord de la France, la vie d’une sympathique famille d’émigrés italiens, les Capello. La fille Fatoun, surprise en flagrant délit de vol, est placée dans un centre de rééducation, malgré les efforts de ses deux frères. Ces derniers décident de gagner la terre promise : Le Canada.
Critique : On ne connaît souvent de Daniel Duval réalisateur que La Dérobade, son seul succès public. L’acteur nous est plus familier, mais il ne joue pas dans L’Ombre des châteaux, léguant un rôle fait pour lui à son double, Philippe Léotard. Pour son deuxième long-métrage, dont il a écrit le scénario, il s’attache à la figure de trois perdants de la société, une fratrie un peu fruste, ballottée au gré d’aventures minables qui tournent invariablement à l’échec : que Fatoun vole, elle se fait prendre ; que ses frères engagent un avocat, c’est un stagiaire qui la défend mollement et perd le procès ; et même dans des moments plus légers, comme quand Luigi veut photographier Rico debout sur un chariot, rien ne se passe comme prévu. On ne trouvera pas dans le film une charge contre la société : l’avocat est plutôt ridicule que méchant, la religieuse de l’institution où est placée Fatoun tapote la tête de ses pensionnaires et les appelle à la raison. Rien sur une administration défaillante ou des lois absurdes. Si les personnages ont la tête sous l’eau, il est impossible de montrer du doigt des responsables. De toute manière, ce n’est pas le projet de Daniel Duval : même si les parents paraissent peu aimants, même si les deux frères rencontrent des obstacles identifiés comme le groupe de motards gratuitement violents, pour l’essentiel, c’est bien une sorte de destin qui fait de ces êtres mutiques les laissés-pour-compte d’un monde auquel ils ne sont pas adaptés.
Il y a bien quelques éclairs dans ce ciel tourmenté du Nord : une communion joyeuse dans un restaurant ou une fête foraine qui représentent les plaisirs simples qui leur sont accessibles. Mais c’est dans la seule complicité que les trois sont le plus heureux, unis dans une adversité floue. Voire cette belle étreinte quand Luigi et Rico vont visiter Fatoun ou le bonheur de gagner deux bouteilles au stand de tir. Heureux dans le seul fait d’être ensemble et de savourer l’instant, ils peuvent oublier le sort qui s’acharne sur eux. Car ce film d’errance est aussi une tragédie faite de hasard malheureux, le dernier, l’accident de voiture, clôturant une série de voyages qui ne mènent nulle part et buttent sur l’opacité du monde.
L’ombre des châteaux, un film de Daniel Duval à redécouvrir
On sent tout au long du métrage la tendresse bourrue de l’auteur pour ses personnages : peu aimables, peu bavards, ils incarnent la part obscure de la société. Ils sont relégués au bout d’une chemin de terre, dans une masure inhospitalière sur fond de terril ; ces paysages ternes sont aussi désolés qu’eux et agissent comme un carcan. De là aussi ces nombreux plans vus à travers fenêtres et grillages. Le monde leur est enfermement et leur subsistance ne vient que d’un travail répétitif et sans gratification. En vase clos, ils sont à côté, rejetés. Et pourtant ils trouvent grâce aux yeux du cinéaste. On pense d’ailleurs souvent à Jean-François Stévenin : même regard sur des êtres opaques, même absence de dramatisation artificielle. On sent un intérêt réel pour les protagonistes, mais pas seulement ; la caméra cadre parfois un figurant que l’action a délaissé, que ce soit une pensionnaire qui tombe ou un homme assis, et qui, lui aussi mériterait d’être observé.
Certes, L’Ombre des châteaux n’est pas parfait : les dialogues pèchent de temps en temps, l’interprétation n’est pas homogène, la mise en scène ne trouve pas une égale inspiration. C’est que le film ressemble à ses héros, bancal et maladroit. Ainsi la plaidoirie de l’avocat novice n’est-elle pas du meilleur goût dans sa caricature appuyée et sa théâtralité ; on pourrait citer d’autres séquences dont on a l’impression qu’elles sont inachevées, bribes d’un ensemble au rythme chaotique. Et pourtant, outre que l’on reste sur le magnifique dernier plan, on ressort ragaillardi de la projection. Sans doute est-ce parce que, malgré la situation désespérée, il s’est passé quelque chose : ces gens ont existé, ils ont vécu, et leur vie niée par le monde a pris, l’espace d’une heure et demie (car, oui, Daniel Duval a la politesse de faire court), une importance considérable. Rien que pour ce message d’espoir ambigu, on découvrira avec plaisir cette œuvre légèrement foutraque mais originale et sincère.
Sorties de la semaine du mercredi 4 mars 2020
Le test Blu-ray :
Disponible en Combo Blu-ray / DVD.
Compléments : 4/5
Le coffret, fin et élégant, comprend un livret formé de trois textes, dont un de Duval lui-même et superbement illustré. À la fois informatifs et laudateurs, ces trois écrits donnent une idée partiale mais intéressante du film. On retrouve sur le seul bonus du Blu-ray, un documentaire émouvant sur l’auteur, des témoignages généreux et attendris. Se dessine le portrait d’un cinéaste sensible et bourru, complexe et exigeant. Le spectateur peu familier de Duval apprendra beaucoup, et les autres se réjouiront de réflexions sur le titre ou le rapport au père (50mn).
L’image : 4/5
La restauration donne une image impeccable, qui restitue tout en finesse la photo volontairement grise du film. On n’est pas dans les canons actuels, certes, et les plans nocturnes ne sont pas toujours lisibles, mais cette copie intègre propose un remarquable confort visuel.
Le son : 3,5/5
Une seule piste, qui manque parfois d’étoffe, avec ces dialogues à la limite de l’audible, mais qui retrouve sa vigueur dans les beaux passages musicaux. Comme Duval a privilégié les bruits, on se satisfera largement de ce son un peu étroit. Au moins n’y a-t-il ni parasite ni bruit de fond.
Critique et test DVD : François Bonini
© 1977 Camera One – © 2020 Tamasa Films