Premier film récompensé aux Goya, Libertad est une œuvre particulièrement bien écrite qui esquisse le portrait d’une Espagne aux inégalités sociales flagrantes. A découvrir.
Synopsis : Espagne, l’été. Libertad fait irruption dans la vie de Nora, 15 ans et bouscule le calme habituel de ses vacances en famille. Ces deux jeunes filles que tout oppose nouent alors une amitié profonde qui marquera leur entrée dans l’adolescence.
Libertad, du court-métrage au long format
Critique : En 2015, la scénariste espagnole Clara Roquet décide de revenir sur un passage clé de son adolescence dans le court-métrage El Adios d’une durée de quinze minutes. Après avoir confirmé ses capacités de réalisatrice sur plusieurs courts, Clara Roquet a opté pour revenir au même sujet que son premier essai pour l’étendre sous la forme d’un long qui serait sa première tentative du genre. Force est d’admettre que la réussite est au rendez-vous.
Effectivement, si le sujet initial laissait craindre un énième récit d’initiation, Libertad se dote d’une dimension sociologique bien plus intéressante et révélatrice des failles de la société espagnole contemporaine. Certes, le métrage évoque bien la rencontre entre deux adolescentes que tout semble opposer et qui vont devenir de très bonnes amies, mais l’ensemble se révèle bien plus fin par la grâce d’une écriture ciselée.
Sous le soleil, les ombres de l’Espagne contemporaine
Ainsi, la jeune Nora est une adolescente privilégiée qui arrive dans la résidence d’été de sa famille située en bord de mer sur la Costa Brava. Son quotidien est fait d’un ennui léger lié à un climat général de farniente. Réservée, la gamine bien sous tous rapports va voir son monde bouleversé par l’arrivée inopinée de la fille de la servante, venue directement de Colombie. La jeune Libertad – comme son nom l’indique de manière un peu trop évidente, unique facilité d’écriture du film – est un électron libre qui va donner le goût de la rébellion à Nora. Dès lors, la petite bourgeoise va ouvrir les yeux sur les rapports de classe qui régissent son monde.
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Bien entendu, la mère de famille aisée (excellente Nora Navas, récipiendaire d’un Goya de la meilleure actrice secondaire pour ce rôle) ne cesse de proclamer que la servante Rosana (très juste Carol Hurtado) fait partie intégrante de la famille, mais la réalisatrice démontre par petites touches que ce n’est qu’une façade. Ainsi, lorsque la mère bourgeoise s’aperçoit qu’elle a acheté la même robe que sa servante, elle décide de la reléguer dans un placard. Enfin, le final très acerbe montrera de manière évidente que le petit personnel n’est finalement qu’une variable d’ajustement pour les élites du pays.
De la banalité de l’exploitation quotidienne
Là où Clara Roquet frappe juste avec Libertad, c’est qu’elle n’insiste jamais lourdement sur ces facteurs sociétaux. Toujours respectueuse de l’évolution psychologique de ses personnages, elle ne les sacrifie jamais au nom d’une quelconque efficacité immédiate. Ainsi, dans Libertad, point de moment fort ou paroxystique puisque tout reste nimbé d’une politesse toute aristocratique. Cela ne veut pas dire pour autant que le métrage est dépourvu de cruauté ou de puissance d’analyse. En fait, il montre en creux la banalité d’une exploitation quotidienne – sous couvert de bienveillance. D’ailleurs, la jeune Nora finira par se comporter de manière aussi égoïste que l’ensemble de sa classe sociale dominante.
Outre cette dimension sociale, Libertad dessine un portrait très juste de ce passage de l’adolescence où l’on commence à entrevoir les mensonges de ses proches, ainsi que les failles au cœur d’une famille que l’on pensait soudée. Pas encore dans l’invective, mais déjà scandalisée par le comportement de sa mère, l’ado devra petit à petit comprendre les qualités et défauts de ses proches, y compris de la grand-mère atteinte d’Alzheimer qui est d’une froideur assez effrayante envers sa propre famille.
Une belle écriture récompensée par plusieurs prix en Espagne
Baigné dans une photographie chaleureuse et ensoleillée que vient contredire les sentiments enfouis des protagonistes, Libertad profite des superbes paysages de la Costa Brava, mais aussi d’une belle ambiance musicale, discrète mais efficace. Le drame impressionniste touche progressivement par la qualité de son regard sur des femmes aux parcours divers et sa volonté de ne jamais succomber à l’esbroufe ou au drame lacrymal. Le tout est porté par des actrices toutes formidables et d’une belle justesse.
Ayant gagné deux Goya (dont un pour la jeune Maria Morera en tant que jeune espoir féminin) et par quatre récompenses aux Gaudi Awards, les récompenses catalanes, Libertad a également fait partie de la sélection de la Semaine de la Critique à Cannes en 2021. Il lui aura fallu un an pour parvenir jusque dans nos salles à partir du 6 avril 2022 pour un score avoisinant les 18 000 entrées, au long d’une exploitation plusieurs fois réactivée. Le métrage est depuis accessible en VOD et en DVD. Il s’agit assurément d’un beau premier film, dans la lignée du brésilien Une seconde mère (Muylaert, 2015) au sujet approchant.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 6 avril 2022
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Clara Roquet, Maria Morera, Nicolle García, Nora Navas, Carol Hurtado
Mots clés
L’amitié au cinéma, Premier film, Critique sociale au cinéma, Alzheimer au cinéma, Les relations mère-fille au cinéma