Leur Algérie est un documentaire sur l’exil et l’arrachement, toujours juste et beau. Il prend la forme d’une émouvante mise en abîme autour de l’identité à travers différentes générations. Une œuvre sur la complexité de l’homme. Puissant.
Synopsis : Après 62 ans de mariage, les grands-parents de Lina, Aïcha et Mabrouk, ont décidé de se séparer. Ensemble ils étaient venus d’Algérie en Auvergne, à Thiers, il y a plus de 60 ans, et côte à côte ils avaient traversé cette vie chaotique d’immigrés. Pour Lina, leur séparation est l’occasion de questionner leur long voyage d’exil et leur silence.
Leur Algérie, un documentaire universel
Critique : La fille des acteurs Zinedine Soualem et Hiam Abbas prend la caméra pour comprendre le mystère autour de ses grands-parents paternels dont elle ne sait rien de l’histoire. Ils viennent de se quitter après soixante-deux ans de mariage et l’urgence est là, quand le mutisme du grand-père et les rires tristes de la grand-mère ont une signification qu’il faut percer. Pour eux, pour son père et pour elle-même.
Il est plus aisé pour la jeune femme d’aller puiser dans l’histoire de ce couple de par sa filiation qui permet une proximité intergénérationnelle plus forte (le rapport des petits-enfants aux grands-parents est souvent plus tendre et moins crispé qu’avec celui que l’on peut avoir, adulte, avec ses propres parents). Et il y a toujours une forme de gourmandise de la part de la nouvelle génération à vouloir sonder les énigmes d’une génération étrangère en tout de ce que l’on peut être. La génération de ces grands-parents représente un monde disparu, qu’il soit agricole ou industriel, du bled ou des villages de Navarre. La démarche de la jeune auteure, férue d’Histoire, ravive bien des souvenirs de spectateurs qui confine à cette universalité qui rend Leur Algérie très riche.
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Réflexion sur l’identité, le sentiment d’identité et les fantasmes
Leur Algérie marque cependant une différence, d’ordre historique, qui concerne la première génération d’immigrés installés en France. En fait, ces hommes et femmes n’étaient nullement des citoyens mais des sujets de la colonie française. Dans les années 40 et 50, ils ont saisi l’opportunité d’un travail mieux payé de l’autre côté de la Méditerranée, avec l’intention de repartir un jour. Ce retour n’arrivera pas.
A travers le récit beau et triste des grands-parents de l’auteure, on retrouve les histoires que l’on connaît aussi de nos campagnes, celles des mariages forcés, mais systématisés à une autre échelle en Algérie par la coutume. Deux êtres qui ne se connaissent pas et se retrouvent un jour dans la même pièce. Le coup de foudre n’est forcément pas au rendez-vous, et l’évocation entre rires et tristesses de la part de la grand-mère de la réalisatrice est révélatrice. Elle n’ose en dire plus. Elle a la pudeur de sa génération quand sa petite-fille, produit de décennies de la libération de la parole de la jeunesse et de la femme, saisit l’opportunité d’aider l’autre à formuler ses souvenirs enfouis, comme pour exorciser ce passé et ses souffrances. Aussi, au-delà des mots, les silences sont aussi signifiants, évoquant les sentiments de vie volée, eux qui ont été arrachés à leur propre patrie où ils ne retourneront jamais, devenant Algériens en France. Le rapport à l’identité est alors très fort.
Les maux et les non-dits
Si l’on sent une grande proximité entre Lina et sa grand-mère, le lien est moins évident avec son grand-père. Question de genre ? Pas forcément. Le grand-père de Lina Soualem, qui ne pourra pas renier son engeance tant il ressemble à l’acteur Zinedine Soualem, est une figure patriarcale éteinte. Mais l’intérêt de la caméra pour son mutisme, ses gestes, ses habitudes, démontre une grande tendresse de la part de la réalisatrice ; elle se traduit par des questions qui arrachent parfois des réponses essentielles sur les plans historique et sociologique. De la génération de ceux qui ne voulaient pas faire de vague, en territoire paradoxalement étranger alors qu’il s’agissait de la France qui s’était établie sur ses propres terres, cet ancien polisseur de couteaux officiait à Thiers, dans la ville d’Auvergne réputée pour son art de la coutellerie. Il y a travaillé sans relâche, mais sans gagner autant que les autres, les Français de sang. On saisit une pointe d’amertume, de regrets peut-être. Et l’on comprend pourquoi.
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L’abandon de la patrie-mère
En effet, si Lina Soualem investit leur histoire, elle aborde celle bouleversante de leurs propres parents, qu’ils ont abandonnés, et tisse une mise en abîme complexe, en creusant toujours plus dans le temps. Elle invite les protagonistes de sa vie à révéler le rapport intrinsèque à l’autorité, à la mère – c’est le récit d’un abandon multiple, celui d’une terre, mais également, celui déchirant, de l’abandon de la mère restée au pays. Elle convoque les fantasmes, la nostalgie d’une vie qui n’est plus où la question du regret vient toujours poindre.
Les réponses ne peuvent pas être absolues. La documentariste est consciente de la complexité de l’homme replacé dans son histoire et ne cherche jamais à extorquer des lieux communs. Sa caméra simple (psych)analyse des choses souvent tristes et donc belles, que l’on appelle communément la mélancolie, la nostalgie et donc la poésie de l’âme humaine.
Sorties de la semaine du 13 octobre 2021
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