Amenábar signe avec Lettre à Franco un nouveau brûlot contre toute forme d’intolérance et de sectarisme. Le film doit donc être vu comme le frère jumeau d’Agora, avec un thème similaire, mais une forme plus classique.
Synopsis : Espagne, été 1936. Le célèbre écrivain Miguel de Unamuno décide de soutenir publiquement la rébellion militaire avec la conviction qu’elle va rétablir l’ordre. Pendant ce temps, fort de ses succès militaires, le général Francisco Franco prend les rênes de l’insurrection. Alors que les incarcérations d’opposants se multiplient, Miguel de Unamuno se rend compte que l’ascension de Franco au pouvoir est devenue inéluctable.
Critique : Visiblement passionné d’histoire et soucieux de mettre en exergue la lutte d’individus isolés face à l’intolérance et à l’obscurantisme, Alejandro Amenábar continue avec Lettre à Franco une œuvre cohérente initiée avec son magnifique et trop méconnu Agora (2009). Ainsi, après avoir évoqué avec force le destin tragique de la mathématicienne grecque Hypatie, en lutte contre l’intégrisme religieux, voici qu’il s’empare de la vie d’un autre intellectuel, cette fois-ci espagnol d’origine basque, à savoir Miguel De Unamuno.
Pour mémoire, Unamuno (1864-1936) était considéré au début du 20ème siècle comme l’un des plus grands écrivains espagnols, porté par des convictions républicaines. Toutefois, au milieu des années 30, celui-ci s’avère déçu par le régime républicain naissant. Il est notamment dominé par un sentiment de crainte face au désordre bolchévique. Lui qui a toujours professé la concorde et l’union de l’Espagne se retrouve donc à soutenir le soulèvement de la junte militaire qui se développe en 1936 à partir du Maroc.
La grande force du film d’Amenábar par rapport à toutes les autres œuvres déjà existantes sur la guerre d’Espagne est de saisir le mouvement à son commencement. Au moment où débute le long-métrage, le général Franco n’est qu’un petit ambitieux qui envisage surtout de renverser la République, mais ne s’imagine pas à la tête du pays. Amenábar nous convie donc à suivre l’évolution psychologique et intellectuelle parallèle de deux hommes aux destins radicalement opposés.
Tandis que la junte évolue assez rapidement en un fascisme destiné à balayer toute opposition et à remettre en avant les vertus chrétiennes, Unamuno déchante rapidement et se rend compte qu’il a soutenu un mouvement qui ne restaurera jamais la République. Même son catholicisme est mis à rude épreuve puisqu’il se retrouve face à des idéologues incapables de voir l’horreur absolue de leur démarche.
En adoptant d’abord le point de vue d’un intellectuel qui soutient le soulèvement initial de la junte militaire, Amenábar parvient à démonter la pensée fasciste en la dynamitant de l’intérieur, mettant en exergue les contradictions de ces hommes désireux d’imposer leur modèle de vie aux autres.
Tout ceci amène finalement Unamuno à la révolte, notamment lors d’un discours final où il manque d’être lynché par les fascistes déjà au pouvoir dans sa localité de Salamanque. Ces séquences puissantes opposent une fois de plus un temple de l’intelligence (l’université) gangrené par la barbarie, tout comme dans Agora avec la scène effrayante du saccage de la bibliothèque d’Alexandrie.
Amenábar adopte ici un style classique qui n’empêche nullement la composition de beaux plans, portés par la superbe photographie d’Alex Catalán et des décors naturels magnifiques. Le tout est également interprété avec beaucoup de talent par un formidable Karra Elejalde. On peut également admirer la composition nuancée de Santi Prego qui incarne un général Franco d’abord peu sûr de lui, avant que l’homme se raidisse et devienne un idéologue certain de sa destinée. On est davantage réservé sur la musique d’Amenábar qui semble moins à l’aise avec l’apport d’un orchestre symphonique.
Au final, Lettre à Franco est donc un biopic valeureux, intéressant à plus d’un titre, même si l’ensemble demeure plus théorique que vraiment émouvant. Il s’agit donc d’une page de l’histoire assez méconnue, illustrée de manière convaincante, mais sans que le cinéma y gagne une œuvre impérissable.
Le film sur le site du distributeur
Critique de Virgile Dumez