Premier western tourné par Tomas Milian, Les tueurs de l’Ouest est une œuvre inégale, mais bénéficiant d’une belle réalisation et de personnages ambigus qui élèvent le niveau d’un script par ailleurs assez classique.
Synopsis : Chilsom, le chasseur de primes, traque deux hommes appartenant à la bande de Gomez. La traque va le mener dans le village où est emprisonné Gomez, qui ne tardera pas à s’évader, grâce aux villageois le croyant innocent. Quand ce dernier va régler ses comptes avec l’aide de sa bande de tueurs, le village va se transformer en champ de bataille.
Critique : Déjà adaptée à plusieurs reprises au cinéma aux Etats-Unis, l’œuvre romanesque de Marvin H. Albert est à nouveau mise à contribution, mais cette fois-ci en Europe. Son roman The Bounty Killer est effectivement acheté par le producteur espagnol José Gutiérrez Maesso qui propose le scénario à Sergio Leone. Finalement, les options choisies par Leone ne conviennent pas au producteur qui décide de se passer de ses services et de confier le projet à un réalisateur plus malléable, à savoir Eugenio Martin. Ce dernier avait déjà à son actif plusieurs films commerciaux à succès, ce qui en faisait un prétendant sérieux au poste de réalisateur. Il est secondé par une équipe italienne de premier ordre, dont l’excellent Enzo Barboni (plus souvent connu sous son pseudo de E.B. Clucher) à la photographie. Mais le point fort du film vient de la contribution de l’acteur cubain Tomas Milian dans son tout premier western. Alors qu’il allait partir pour Hollywood, le comédien a rencontré un rôle à sa (dé)mesure qui lui a apporté immédiatement le succès, réorientant l’ensemble de sa carrière vers le western européen.
Des compositions picturales inspirées
Il faut dire que Les tueurs de l’Ouest est un film passionnant à bien des égards, même s’il pâtit d’un budget un peu rachitique. Tout d’abord, Eugenio Martin parvient à compenser la faiblesse des moyens par l’ingéniosité de sa mise en scène. Aidé par la magnifique photographie de Barboni, il livre des compositions picturales inspirées, essentiellement basées sur la profondeur de champ et une certaine profusion des décors. Il se sert de nombreuses déformations optiques et du grand angle pour livrer des plans toujours passionnants sur le plan visuel. Si l’ensemble s’inspire assez clairement du style de Leone, Martin fait preuve d’un vrai talent dans la composition de l’image.
Tomas Milian explose dans un rôle complexe
Ensuite, le long-métrage bénéficie de l’interprétation magistrale de Tomas Milian qui compose un bandit à la fois fascinant, attachant et terrifiant. L’acteur est capable d’exprimer à la fois la hargne, la tristesse et la folie en un seul plan séquence. Il dégage une ambiguïté manifeste qui donne tout son sel à une intrigue par ailleurs assez classique. Il est soutenu par la belle Halina Zalewska dont le personnage féminin ne se résume jamais à une potiche comme dans bon nombre de westerns de l’époque. Fière et forte, cette femme hésitant entre son amour passé pour un bandit de plus en plus incontrôlable et son attirance pour le chasseur de primes venu la sauver, possède une complexité assez rare dans les westerns d’alors. On reste par contre plus réservé vis-à-vis de la prestation tout juste passable de Richard Wyler, acteur très limité qui ne parvient pas à exprimer tous les sentiments contraires de son personnage.
Des repères moraux brouillés
Car l’autre intérêt des Tueurs de l’Ouest est de proposer une intrigue où le Bien et le Mal ne sont pas faciles à identifier. Certes, le chasseur de primes est censé être le héros, mais il agit uniquement par appât du gain et n’apparaît jamais comme sympathique. A contrario, le bandit possède le charme inhérent aux bad guys, tout en étant une évidente menace. Victime au départ du racisme ordinaire qui s’exerce alors contre les Mexicains, son personnage semble vouloir se venger de l’espèce humaine en son entier. Dans sa quête obsessionnelle d’une implacable vengeance, le personnage perd une grande part de son humanité. Fascinant certes, mais aussi repoussant, le personnage défendu par Tomas Milian est donc loin d’incarner le bon sens populaire comme il le fera par la suite dans certains westerns Zapata au sous-texte politique de gauche plus marqué. Ici, le système capitaliste américain est raillé, mais on reste plutôt dans une zone grise où rien n’est binaire. C’est aussi cela la grande qualité de ce long-métrage assez enthousiasmant, doté qui plus est d’une partition très « ritale » de Stelvio Cipriani.
Sorti avec beaucoup de succès à la fois en Italie et en Espagne, le film a attendu trois ans avant d’arriver en toute discrétion en France en janvier 1969. Par la suite, il est tombé dans l’oubli à cause d’une absence d’édition en VHS ou DVD. Le Mediabook publié par Artus Films est donc une rareté à saisir de toute urgence pour les amateurs de western européen.
Le test du blu-ray :
Compléments & packaging : 3/5
Il faut tout d’abord signaler la beauté de l’objet proposé par l’éditeur dans un format identique à celui de sa collection Fulci, à savoir un superbe Mediabook contenant un livre de 62 pages consacré au romancier Marvin H. Albert écrit par Lionel Grenier. A noter qu’une quinzaine de pages sont consacrées plus particulièrement aux Tueurs de l’Ouest. Le tout bénéficie d’une présentation superbe, avec des affiches rares et de belles photos d’exploitation. Sur la galette bleue, on retrouve une présentation de 9min de Curd Ridel qui est décidément moins bavard que d’habitude. Il nous renseigne toutefois sur la carrière du réalisateur et des acteurs. On aurait aimé que cela soit plus détaillé. Outre une galerie photo, on ne saurait trop vous conseiller d’aller visionner la bande-annonce allemande du film. Très abîmée, elle nous permet de profiter d’un doublage dans la langue de Goethe que l’on pourrait qualifier d’improbable. Fou rire garanti.
L’image : 5/5
C’est assurément le gros point fort de cette édition puisque la copie proposée est de toute beauté, avec une restauration 2K qui est effective. La copie est d’une propreté incroyable pour une telle rareté, la précision des plans est à couper au rasoir. Vous ne pourrez plus rien ignorer des moindres détails de la peau des acteurs, ainsi que des petits éléments du décor. La colorimétrie est splendide. Bref, un bonheur pour les yeux qui permet de redécouvrir cette œuvre dans des conditions optimales.
Le son : 4/5
Deux pistes disponibles ici. La version étrangère est en espagnol mono DTS HD Master Audio qui bénéficie de voix assez naturelles et d’une belle clarté de la piste (on note toutefois une légère bouillie musicale vers 15’, non présente sur la VF). Pour la version française, les voix sont correctes et ne choquent pas. La musique est parfois plus étouffée mais elle ne sature pas. Par contre, on y entend un léger souffle permanent, absent de la version espagnole.
Critique du film et test blu-ray : Virgile Dumez