A mi-chemin entre fiction et documentaire, Les oliviers de la justice offre une vision originale et non partisane de l’Algérie française. Une œuvre délicate, doublée d’un sacré document historique. A ne pas négliger.
Synopsis : En 1962, un Français retourne à Alger au chevet de son père malade. En veillant ce père agonisant, il renoue avec sa terre natale, au moment où se consomme le divorce entre les deux rives de la Méditerranée.
Un long-métrage de fiction tourné en pleine guerre d’Algérie
Critique : Durant la présence française en Algérie, les structures cinématographiques locales ont été bien peu développées. En réalité, l’Algérie a surtout servi de décor exotique pour des productions françaises cossues, mais on compte peu de sociétés voulant investir dans cette région du monde. Seule véritable institution présente, la Société algérienne de production cinématographique se concentre essentiellement sur la réalisation de courts documentaires. Toutefois, au début des années 60, le producteur Georges Derocles envisage de passer à la vitesse supérieure en finançant un long-métrage de fiction intitulé Les oliviers de la justice (1962).
Il s’agit de l’adaptation d’un célèbre roman éponyme de Jean Pélégri, publié à la fin des années 50, qui raconte la mort de son père et les états d’âme d’un Français d’Algérie face à une guerre de décolonisation qui oppose les communautés. Pour aider Jean Pélégri dans son travail d’adaptation, Derocles lui adjoint un documentariste américain nommé James Blue, dont ce sera d’ailleurs l’unique long-métrage de fiction. L’Américain est alors connu en Algérie pour trainer sa caméra dans Bab-El-Oued à la recherche de la vérité du lieu. Tellement investi dans ce projet qui lui est très personnel, Jean Pélégri va même jusqu’à interpréter le rôle de son propre père, avec d’ailleurs une certaine justesse de ton.
Un tournage guérilla qui débouche sur un film apaisé
Le tournage ne fut pas nécessairement de tout repos puisque les prises de vue ont été effectuées quelques mois à peine avant les accords d’Evian, soit dans un moment d’extrême tension. Les locaux de la production ont ainsi été menacés de destruction par des membres de l’OAS (Organisation de l’armée secrète) qui jugeait que Jean Pélégri était trop conciliant dans son œuvre littéraire avec les Arabes et donc que son film serait une charge contre les colons. Un procès d’intention qui n’a aucune raison d’être quand on visionne le film terminé.
Effectivement, la grande qualité des Oliviers de la justice (1962) vient justement de sa capacité à pacifier le discours ambiant et à renvoyer chacun à ses responsabilités. Tout d’abord, la guerre elle-même (encore qualifiée d’« événements d’Algérie » à l’époque) est constamment renvoyée hors champ par James Blue. Sa présence est signifiée par des signes extérieurs comme les contrôles militaires à chaque coin de rue, des bruits d’agitation et des dialogues qui évoquent des attentats. Pourtant, le long-métrage préfère se concentrer sur l’histoire personnelle vécue par Jean, jeune homme qui revient en Algérie pour revoir son père mourant. A l’occasion de ce retour dans un pays en guerre, le jeune homme revoit des bribes de son passé (par le jeu de beaux flashback), tout en se posant des questions sur sa volonté de demeurer ou non au pays de son enfance.
Un chant d’amour sincère sur l’Algérie plurielle
Les oliviers de la justice est donc non seulement un superbe film sur des événements douloureux liés à la décolonisation, mais également une belle œuvre introspective sur un homme à l’heure des premiers bilans. On apprécie particulièrement la vision nuancée qui est donnée de l’Algérie française. Loin de se faire accusateurs, Pélégri et Blue chantent surtout la beauté des paysages et font passer à travers leurs images un amour sincère de l’Algérie, vue comme une terre riche d’opportunités. Ils ne cachent pas les vexations envers la population arabe, considérée comme étant de seconde zone par certains colons, mais n’accusent pas l’intégralité des Français d’Algérie, dont beaucoup ont vécu en bonne entente avec les populations locales.
Même si les auteurs ne dissimulent pas les erreurs commises par les colons, ils montrent aussi les belles réalisations effectuées par des gens persuadés de la validité de ce que l’on a appelé la mission civilisatrice de la France. Encore une fois, tout dépend du regard porté par les différents intervenants : soit en empathie avec les populations (Jean), soit en affirmant sa supériorité (c’est le cas de la cousine du héros). En tout cas, Les oliviers de la justice milite clairement pour un apaisement des tensions et une pacification qui mènerait à une égalité entre chaque citoyen. L’Histoire lui a malheureusement donné tort et Jean Pélégri sera lui-même obligé de quitter l’Algérie, comme tant d’autres pieds-noirs.
Les oliviers de la justice, document rare et précieux sur l’Algérie coloniale
Filmé dans un style documentaire qui nous offre de splendides images prises sur le vif, Les oliviers de la justice est sans doute moins convaincant en ce qui concerne le jeu des acteurs, pour la plupart non professionnels. En réalité, James Blue les a dirigés comme Robert Bresson en essayant de limiter au maximum le jeu à proprement parler. Cela donne un aspect « Nouvelle Vague » qui n’est pas pour nous déplaire, mais ancre définitivement le long-métrage dans son époque.
Présenté avec succès au Festival de Cannes en 1962 où il a gagné le Prix de la Société des Écrivains de Cinéma et Télévision, Les oliviers de la justice a fait une carrière éclair en salles au mois de juin 1962, puis a été enterré. Il a été repris en salles en 2004, avant d’être édité dans un coffret DVD consacré à La guerre d’Algérie en 2005 (éditions Montparnasse). Il demeure encore largement ignoré par les cinéphiles alors qu’il propose un regard différent sur une guerre qui laisse encore des traces profondes au sein des sociétés algérienne et française.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 6 juin 1962
Les sorties de la semaine du 3 novembre 2004
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