Les lueurs d’Aden, d’Amr Gamal, est la chronique brute d’une famille de la classe moyenne yéménite que la pauvreté conduit à recourir à l’avortement. L’un des très rares représentants du cinéma yéménite.
Synopsis : Isra’a vit avec son mari Ahmed et ses trois enfants dans le vieux port de la ville d’Aden, au sud du Yémen. Leur vie quotidienne est rythmée par les effets de la guerre civile : contrôles militaires dans les rues, pannes de courant fréquentes, et rationnement de l’eau. Ahmed, qui travaillait pour la télévision, a dû quitter son poste à la suite de nombreux salaires impayés, pour devenir chauffeur. Ils ont à peine de quoi offrir à leurs enfants une vie normale et une bonne éducation. Quand Isra’a apprend qu’elle est à nouveau enceinte, le couple doit faire face à une nouvelle crise. Ils savent tous les deux qu’ils ne peuvent pas se permettre un quatrième enfant, d’autant qu’ils doivent déménager dans un logement moins cher et qu’il faut payer les frais d’inscription d’école. Ensemble, ils décident d’avorter. Une amie médecin va peut-être les aider…
Critique : La plupart des films provenant du Moyen-Orient présentent des femmes victimes du système patriarcal. De manière inédite, Amr Gamal donne cette fois la parole à un couple totalement uni dans son désir de ne pas donner naissance à un quatrième enfant, dont il ne peut assurer la charge.
Profitant de cette rare occasion de pouvoir parler de son pays (Les lueurs d’Aden est le premier film yéménite à être distribué en France et l’un des rares à avoir été produit localement sur plusieurs décennies), le réalisateur entend bien exposer aux yeux du monde la situation de la ville d’Aden, active et ouverte dans les années 50-60, aujourd’hui cadenassée par les islamistes et emportée dans un chaos que rien ne semble pouvoir freiner. La guerre civile qui a démarré en 2014 n’est jamais montrée frontalement ; néanmoins ses conséquences sur les murs de la ville, bénéficient de larges plans d’ensemble, afin de témoigner de son inéluctable destruction.
Si Aden qui est devenue la capitale temporaire du Yémen depuis 2017 fait figure de personnage principal, elle n’en oublie pas pour autant de laisser la place à ses habitants en relatant leurs difficultés croissantes.
Les lueurs d’Aden au cœur d’une société en déliquescente
S’inspirant de faits réels, Gamal nous invite à partager le sort d’Isra’a et d’Ahmed, un couple parmi tant d’autres, qui ne cessent de voir leurs conditions de vie se dégrader. Avant la guerre de 2015, ils rencontraient déjà des difficultés matérielles, liées à leurs bas salaires. Quand Isra’a attend un troisième enfant, ils envisagent l’avortement mais le regard de la société les fait renoncer. Aussi, quand, malgré l’utilisation de moyens contraceptifs, Isra’a est de nouveau enceinte, ils n’ont plus d’autre choix.
Démarre alors pour eux un vrai parcours du combattant entres croyances médicales, convictions religieuses, petits arrangements avec sa conscience, le tout mâtiné d’un bonne dose d’hypocrisie.
Dans un geste documentaire qui privilégie le réalisme, Les lueurs d’Aden évite soigneusement toute afféterie, tant dans l’écriture que dans la mise en scène. Soucieux de rendre compte au plus près de ce mécanisme de la misère qui ne laisse guère d’espoir vers une amélioration, le film d’Amr Gamal fascine par son sens de la précision et son absence de jugement.