Thriller d’espionnage éthéré, Les fantômes évoque une thématique rarement abordée au cinéma d’une manière originale qui peut désarçonner. Sa proposition cinématographique est tout cas fort intéressante, même si pas totalement aboutie.
Synopsis : Hamid est membre d’une organisation secrète qui traque les criminels de guerre syriens cachés en Europe. Sa quête le mène à Strasbourg sur la piste de son ancien bourreau.
De l’approche documentaire à la fiction
Critique : Venu du documentaire, Jonathan Millet a souhaité consacrer un nouveau reportage sur les victimes du régime syrien dont il recueille les témoignages au cœur de centres de réfugiés. Si les enregistrements sont glaçants, Jonathan Millet ne parvient pas à aborder ce thème par le biais d’une caméra documentaire qui s’avèrerait trop intrusive et déplacée. L’ensemble se débloque en 2019 grâce à deux articles parus dans le journal Libération qui traitent de la cellule Yaqaza dédiée à la traque des criminels de guerre syriens au service du régime de Bachar el-Assad. Dès lors, Jonathan Millet a songé à basculer dans le domaine de la fiction en suivant les pas d’un des membres de cette cellule d’espionnage que l’on pourrait comparer à la traque des anciens nazis par le Mossad.
© 2024 Films Grand Huit, Arte France Cinéma, Hélicotronc, Niko Films / Photographie : ris Dewitte. Tous droits réservés.
Désormais construit sur le modèle d’un thriller d’espionnage, Les fantômes n’en oublie pourtant pas sa fibre documentaire initiale puisque les attendus du genre ne sont pas réellement présents dans ce tout premier long métrage de fiction qui opte plutôt pour une introspection au cœur d’un système opaque. Tout d’abord, le réalisateur a l’intelligence de ne pas dévoiler les tenants et aboutissants de son histoire dans une scène introductive explicative.
De l’art de rester dans le flou
En effet, il préfère amplement laisser planer le doute sur son personnage principal incarné par le magnétique Adam Bessa. Certes, on le sent travaillé par le désir de retrouver quelqu’un, mais est-ce qu’il agit pour le compte du régime syrien ou est-il simplement en quête de vengeance ? La vérité surgira petit à petit, par touches impressionnistes le long d’un récit délié qui manque parfois de tension et risque donc de laisser sur le bas côté ceux qui s’attendent à une œuvre trépidante.
En fait, le cinéaste entre progressivement dans l’intériorité blessée, voire brisée, de son protagoniste central, et finit par évoquer les horreurs de la guerre syrienne sans jamais rien montrer. Les seuls témoignages seront audio, mais aussi symbolisés par le regard perdu et démoli d’Adam Bessa. N’étant plus que l’ombre de lui-même à la suite d’un drame personnel que nous ne révélerons pas, cet être brisé n’est effectivement plus qu’un fantôme qui se glisse partout de manière discrète, participant ainsi aux opérations de la fameuse cellule Yaqaza citée plus haut.
Les fantômes, une œuvre de sensations avant tout
Pour cela, le personnage approche de très près celui qu’il traque (Tawfeek Barhom, vu dans La conspiration du Caire), allant jusqu’à le sentir lors d’une scène assez sensuelle et finalement passionnante dans sa volonté d’affirmer la présence fantomatique du pisteur. Si l’on ajoute à cela un personnage féminin plutôt cryptique interprété par l’Autrichienne Julia Franz Richter, Les fantômes échappe à toute tentative de psychologiser le récit.
© 2024 Films Grand Huit, Arte France Cinéma, Hélicotronc, Niko Films / Photographie : ris Dewitte. Tous droits réservés.
Par sa réalisation volontairement épurée de tout effet et par sa musique éthérée, le thriller est avant tout une œuvre d’ambiance qui tente de pénétrer au plus près d’une psyché détruite, tout en évoquant le terrible conflit syrien qui laissera longtemps encore des traces dans l’Histoire.
Une première œuvre perfectible, mais intéressante sur le plan cinématographique
L’ensemble aurait sans doute gagné à être un peu écourté, notamment lors de longues scènes montrant des images de jeux vidéo guerriers. On préfère largement l’affrontement verbal entre les deux antagonistes dans un café, au timing parfaitement maîtrisé, malgré une durée conséquente.
En tout état de cause, Les fantômes est une première œuvre ambitieuse qui prouve que le cinéma français peut encore faire preuve d’originalité à une heure où la plupart des scripts semblent rédigés par une IA sans imagination. Sélectionné pour faire l’ouverture de la Semaine de la Critique à Cannes en 2024, Les fantômes a convaincu la plupart des critiques qui y ont vu une première œuvre valeureuse.
Box-office des Fantômes
Sorti dans une combinaison raisonnable de 143 salles à partir du 3 juillet 2024, le métrage a étonné en se hissant à la 11ème place du box-office hebdomadaire français avec 53 857 curieux. Ce signal positif a démontré à son distributeur Memento qu’il pouvait compter sur le métrage en injectant des copies supplémentaires, allant jusqu’à 312 en quatrième semaine. Effectivement, le film s’est parfaitement maintenu sur la durée, parvenant à dépasser les 100 000 tickets en trois semaines grâce à des chutes modérées, preuve d’un bouche à oreille convaincant.
Véritable sleeper de l’été 2024 dans le domaine de l’art et essai, Les fantômes dépasse les 150 000 entrées à la mi-août, avant de poursuivre une longue carrière durant tout l’automne, lui permettant de glaner un total de 172 207 entrées. De quoi lui permettre d’être proposé au format physique à la fois en DVD et en blu-ray, mais aussi d’obtenir quatre nominations aux Lumières 2025 et deux aux César 2025 (Meilleur premier film et meilleure révélation pour Adam Bessa). Même si le film est reparti bredouille de ces festivités académiques, son joli écho en salles est assurément la plus belle des récompenses pour ses créateurs.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 3 juillet 2024
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Affiche Le Cercle Noir pour Fidélio – Photo © Kris Devitte
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Jonathan Millet, Tawfeek Barhom, Adam Bessa, Julia Franz Richter
Mots clés
Cinéma français, Les drames du monde arabe au cinéma, La torture au cinéma, La guerre en Syrie