Le traducteur est une plongée sans artifice au cœur de l’histoire chaotique de la Syrie, abandonnée par la communauté internationale.
Synopsis : En 2000, Sami était le traducteur de l’équipe olympique syrienne à Sydney. Un lapsus lors de la traduction le contraint à rester en Australie, où il obtient le statut de réfugié politique. En 2011, la révolution syrienne éclate et le frère de Sami est arrêté pendant une manifestation pacifique. Malgré les dangers il décide de tout risquer et de retourner en Syrie pour aller le libérer.
Le sang de la répression
Critique : 1980. Voilà dix ans qu’Hafez el-Assad s’est emparé du pouvoir syrien, à la suite d’un coup d’État. Son régime autoritaire exerce un contrôle permanent sur les citoyens. Les manifestations pacifiques se multiplient pour réclamer liberté et dignité. Sami qui n’est encore qu’un enfant assiste à l’une d’entre elles, particulièrement violente. Son père est arrêté par la police. Il ne le reverra jamais. Vingt ans plus tard, Sami, devenu traducteur arabe-anglais, est embauché par l’équipe syrienne des Jeux olympiques de Sydney. Au journaliste l’interrogeant sur la succession du tyran qui vient de mourir et a déjà été remplacé par son fils Bachar, Mounnebb, athlète de haut niveau et ami de Bachar, offre la seule réponse autorisée. En revanche, la traduction de Sami prend quelques libertés avec les paroles du sportif et suffiront à le pousser vers l’exil. Pouvoir du langage et soif de vérité s’imposent d’emblée comme les enjeux principaux de cet hommage à ceux qui luttent au nom de la liberté.
Onze ans plus tard, c’est le temps du Printemps arabe. Les manifestations en faveur de la démocratie sont à nouveau réprimées dans le sang et laissent place à la guerre civile. Lors du visionnage d’une vidéo, Sami découvre que son frère a été arrêté. Alors que sa femme et lui vivent en toute liberté en Australie, la culpabilité le gagne. Il décide alors de retourner dans son pays natal clandestinement, au risque d’exposer à de grands dangers sa famille et lui-même.
Après un démarrage désordonné entrechoquant les images d’un tumulte dont il n’est pas toujours aisé de comprendre les ressorts, une scène aussi violente qu’inattendue transforme ce témoignage aux allures de documentaire en une fiction nourrie de revirements, d’événements tragiques, mais aussi et surtout de la description poignante de la population syrienne. Après avoir entrevu une lueur d’espoir, elle s’est vu délaissée par la communauté internationale plus préoccupée par la question de la migration et de la surveillance du terrorisme que le sort de populations civiles qui ne présentent qu’un intérêt économique et politique restreint.
Le traducteur traduit en image une actualité déchirante
Un ton délibérément dépouillé et le jeu tout en retenue de Ziad Bakri (Sami) transmettent à ce théâtre de confusion et d’angoisse une redoutable efficacité, tandis que la mise en scène n’occulte rien de cet enfer permanent, histoire de plonger le spectateur au cœur même d’un suspense qui chemine sans précipitation vers le thriller politique. Du sniper qui guette les allées et venues des passants, au défilé des proches à la recherche du corps d’un membre de la famille parmi des dizaines d’autres, en passant par l’astucieux subterfuge du dialogue silencieux pour échapper aux écoutes téléphoniques mises en place par le pouvoir jusqu’au couperet glaçant de la scène finale, tout concourt à édifier le constat déshumanisé d’un conflit qui, au delà de l’aspect politique, ruine les amitiés, les liens familiaux et les carrières.
Œuvre forte et engagée, imprégnée de l’expérience de son couple de réalisateurs, Rana Kazkaz et Anas Khalaf, tous deux Syriens bénéficiant de la double nationalité française et américaine, Le traducteur offre au public la vision sobre d’une actualité déchirante.