Il fallait tout le talent de Victor Erice pour faire du Songe de la lumière, initialement un simple documentaire sur le peintre réaliste espagnol Antonio Lopez , un pur joyau du cinéma des années 90.
Synopsis : A l’automne 1990, plus précisément, le 28 septembre de cette année, le peintre Antonio Lopez décide de faire un tableau du cognassier de son jardin, alors que les fruits de l’arbre sont arrivés à maturité et que les rayons du soleil de cette saison donnent à l’ensemble une rare tonalité de lumière, si difficile à saisir. Commence un long et méticuleux travail d’orfèvre pour rentrer dans l’essence même du secret intime de la perception et de sa fascinante résultante, la création artistique.
Le songe de la lumière, un documentaire rare du grand Victor Erice
Critique : Cinéaste rare qui n’a tourné que trois longs-métrages en plus de quarante ans de carrière, Victor Erice reste dans toutes les mémoires comme le réalisateur du chef d’œuvre absolu du cinéma espagnol des années 70, L’esprit de la ruche (1973). Après avoir signé le splendide Le sud en 1983, il s’attaque à un projet en apparence plus modeste en 1992 en tournant un documentaire sur le peintre réaliste Antonio Garcia Lopez intitulé Le songe de la lumière.
Ne faisant jamais rien comme les autres, le cinéaste ne s’attarde aucunement sur l’œuvre du peintre, ni même sur son passé ou sur sa vie présente, préférant capturer la grâce du geste créateur. Ainsi, le réalisateur suit pas à pas les étapes de la création d’un tableau, en l’occurrence une représentation très réaliste d’un cognassier. Au lieu de disserter durant des heures sur la vie et l’œuvre de Lopez, Le songe de la lumière tente de saisir la majesté du geste créateur et par-là même rend le plus bel hommage qui soit à un artiste, le montrer dans l’accomplissement de son art.
Capter le geste artistique et tenter de capturer la lumière
De la confection de la toile au choix des pinceaux, en passant par l’angle de vue choisi pour retranscrire la beauté de l’arbre, tout est évoqué dans les moindres détails. En parallèle, nous suivons aussi les travaux effectués par des ouvriers polonais dans l’atelier de l’artiste, ainsi que la vie du quartier très populaire où vit notre homme.
Ce point de vue extérieur permet non seulement de montrer que toute activité humaine comporte sa part d’artisanat, mais aussi de rendre hommage indirectement à l’œuvre de Lopez, peintre qui a toujours eu à cœur de représenter les classes populaires, ainsi que des friches industrielles. Toutefois, ce qui fait du Songe de la lumière une œuvre cinématographique extraordinaire n’est pas tant dans son attention particulière aux détails de la vie quotidienne que dans sa volonté de saisir l’essence même de la peinture, à savoir la lumière. Malgré l’emploi d’une caméra à la définition hasardeuse, Victor Erice signe un nombre impressionnant de plans superbes qui tentent de saisir chaque nuance de la lumière du jour, mais aussi du crépuscule.
Une magnifique déclaration d’amour envers toute forme d’art
Lorsque, au bout d’une heure et demie, Antonio Lopez se rend compte qu’il n’arrivera pas à terminer son tableau, le film opère une magnifique volte-face et se love délicieusement dans une poésie intemporelle où le cinéma prend le relais de la peinture. Dans les magnifiques derniers plans du film, la caméra prend la place du peintre et, par un jeu d’éclairages savants, parvient à saisir les nuances que la lumière naturelle ne laissait plus entrevoir.
Cette déclaration d’amour à toutes les formes d’art se double alors d’un chant élégiaque à la vie, au temps qui passe et aux saisons qui transforment toute chose en cendres pour mieux renaître au cosmos. Dès lors, ce qui s’apparentait à un simple documentaire sur un peintre espagnol peut se muer en un petit chef d’œuvre de poésie, un hymne ô combien passionnant à toute forme de création.
Un documentaire justement récompensé à Cannes
Présenté en compétition au Festival de Cannes en 1992, le chef d’œuvre n’a pas laissé le jury indifférent qui lui a octroyé son Prix du jury, ex aequo avec Une vie indépendante (Vitali Kanevsky, 1992). Le documentaire a aussi obtenu le prix FIPRESCI, preuve supplémentaire de son pouvoir de fascination et de son statut de chef d’œuvre du documentaire. Le film est ensuite sorti tardivement dans les salles françaises par le concours des Films sans Frontières qui en ont tiré 12 362 entrées. Un score modeste pour une œuvre qui doit impérativement être vue par tous les cinéphiles exigeants.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 5 mai 1993
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Victor Erice
Mots clés
Les documentaires sur CinéDweller, La peinture au cinéma, Festival de Cannes 1992, Cinéma contemplatif