En 2010, la première édition de Le Monde du silence en DVD permettait une réévaluation judicieuse de ce classique du documentaire sous-marin filmé en son temps par Cousteau et un petit débutant… Louis Malle. Un témoignage d’époque où l’on assiste surtout à la cruauté de l’homme.
Synopsis : Le monde du silence, 1er film du commandant Cousteau avec Louis Malle, montre pour la première fois en couleur un monde nouveau, le monde sous-marin, le monde du silence…
Distributeur : Rank Crédit affiche : Publicité Jacques Fourastié (agence)
Gilbert Allard (affichiste)
Critique : Véritable précurseur d’un genre qui allait être assujetti au format télévisuel pendant plusieurs décennies notamment à travers les productions de son propre instigateur, Jacques-Yves Cousteau, Le Monde du silence est un document historique à bien des égards. Il bénéficiait d’ailleurs du soutien d’un distributeur américain qui venait de s’implanter en France, J. Arthur Rank, qui avait mis les moyens pour le lancer.
Premier documentaire palmé à Cannes en 1956 (le second, Fahrenheit 9/11 de Michael Moore, ne le sera qu’en 2004 !), c’est aussi le premier long métrage de Louis Malle, ici coréalisateur, tout droit sorti de l’IDHEC ; et le second film à dévoiler les fonds marins en couleurs. Picasso aurait été bouleversé par le spectacle et serait même mort en tâtonnant un morceau de récif de corail offert par le commandant Cousteau. Ce plus gros succès français pour une non-fiction (plus de 4,5 millions d’entrées) obtint l’Oscar du meilleur film en langue étrangère en 1957.
Le Monde du silence dans la tendance des documentaires de son époque
Le caractère exceptionnel de cette œuvre dans ses ambitions et son ampleur demeure donc encore aujourd’hui, nonobstant les succès récents des documentaires de la BBC (Planète Bleue) ou du fameux Océan de Jacques Perrin et Jacques Cluzaud. Toutefois, au-delà du film de Cousteau, reconnaissons au genre même du documentaire – qu’il soit ethnologique, sociologique, animalier et marin -, une importance particulière qui préexistait Le Monde du silence. Le succès considérable du Continent perdu, qui avait récolté le Prix spécial du jury à Cannes en 1955, pouvait en attester. En 1956, suite au succès du Monde du silence, on distribuait enfin en France Le sixième continent de Folco Quilici, le premier film sous-marin en couleurs qui avait fait sensation à Venise en 1954. Ce dernier reste aujourd’hui difficilement appréciable de par ses scènes de pêches d’animaux marins et de poissons devenus rares et bien-aimés des contemporains. Sesto Contineto n’en demeure pas moins un témoignage d’une époque. Également en 1956, les Français pouvaient découvrir un autre documentaire aux technologies mises en avant (son Perspecta, dit stéréophonique, filmé en Cinepanoramic). Il s’agissait des Trésors de la mer rouge de Michel Rocca, avec sa sempiternelle chasse aux requins (sic). Les exemples sont nombreux.
Coup de vieux pour l’ancien monde
Il est évident que Le Monde du silence a énormément vieilli : le filmage jadis révolutionnaire paraît aujourd’hui artisanal ; la voix off démonstrative de Cousteau est maladroite ; le jeu des non-comédiens obligés de répéter des scènes selon le scénario d’un précédent documentaire filmé en 16mm est monocorde. Mais c’est justement la valeur historique du document qui aujourd’hui le rend si cher à nos yeux, tout comme on ne se lasse pas de redécouvrir la curiosité de Jojo le mérou, vedette du festival de Cannes en 1956, adoré par les enfants qui ont pu assister émerveillés à ses facéties sous-marines.
Les deux cinéastes, deux noms énormes, ne sont plus de ce monde, tout comme l’essentiel de ce qu’ils nous montrent à l’écran, les paysages sous-marins ayant pour la plupart été vidés de leurs habitants. Le documentaire impressionne par les premières rencontres impromptues avec les habitants des mers (surtout pour le spectateur de l’époque qui était dans la pure découverte), et l’esprit de pionnier qui exalte les troupes du commandant.
Mais ce qui nous frappe et rend difficile la vision du film aujourd’hui, c’est l’absence totale de discours et de vision écologique. Le rapport à la nature y est brut, voire brutal. L’équipage de Cousteau n’hésite pas à filmer l’agonie d’un cachalot blessé par des hélices, à massacrer du vilain requin ou à dynamiter un rivage pour recenser des poissons. Une méthode scientifique que l’on qualifiera aujourd’hui de barbare et cruelle, tandis que le rapport au requin, basé sur une méconnaissance de l’animal et de son importance dans la chaîne alimentaire, ainsi que sur sa sinistre réputation, est désormais anachronique. Disons-le, par moment Le monde du silence nous est insupportable.
Un document historique révélateur d’une époque
De par son grand âge, Le monde du silence a donc beaucoup à nous montrer et à nous réapprendre, à nous fils de marins perdus qui ne reconnaîtrons jamais pareils splendeurs édéniques. Sans jamais toucher à l’écologie, il renforce encore le discours catastrophiste des scientifiques contemporains quant à l’état de nos mers, car si seulement soixante ans nous séparent de ses eaux azur, c’est bel et bien un océan qui nous sépare de cette époque révolue. L’inspection incroyable de l’épave du Thistlegorm, cargo écossais coulé en mer Rouge pendant la guerre, par l’équipe de Cousteau, sonne même comme une douloureuse mise en abîme, comme si on assistait par effet de miroir, au résultat de notre propre naufrage civilisationnel.
Les Palmes d’or sur CinéDweller
Crédit affiche : Publicité Jacques Fourastié (agence)
Gilbert Allard (affichiste) Copyrights : The Cousteau Group Inc 1956 – Les Films du Scorpion
LE DVD
Compléments : 3.5 / 5
Deux documents de valeur sont ici proposés. Le premier, Du silence et des hommes, sur une cinquantaine de minutes, revisite la genèse du projet et le tournage d’un film réalisé par deux hommes aux ambitions un peu antithétiques. Porté par des entretiens avec des spécialistes de Cousteau et Louis Malle mais également par des interventions lointaines du réalisateur d‘Ascenseur pour l’échafaud (1958), ce document s’avère passionnant et répond de manière juste aux critiques contemporaines à l’égard de la violence de certaines images. On notera également son insistance sur la technique de filmage.
Le second document, Deux hommes, un chef-d’œuvre, dure à peine 20mn, mais il s’agit d’une rencontre unique entre Cousteau et Malle au début des années 90. Le poids historique du document (inédit à la télé) nous permet d’oublier le caractère un peu guindé des deux personnalités et leur manque de persuasion quand il s’agit de s’expliquer sur le fameux massacre des requins. Ils ont beaucoup de mal à dire que le squale, ce n’est tout simplement pas leur truc.
Enfin le dernier document, une bande-annonce d’époque, toute abimée, nous rappelle les conditions de visionnage des films pendant de longues décennies. La remasterisation du métrage à côté tient du miracle.
Image : 3.5 / 5
Limpide et cristalline, la pellicule a bénéficié d’un nettoyage phénoménal appréciable, même si certains plans ne sont pas forcément d’une précision visuelle impeccable en raison des conditions de filmage de l’époque. Du très bon boulot.
Son : 3 / 5
Proposé en 2.0, le film n’a évidemment aucun effet sonore à la Océan à proposer aux petits contemporains. Peu importe. La version est propre et d’une netteté à l’épreuve de la rouille.