Entre naturalisme et onirisme, Le léopard des neiges met à l’honneur le cinéma tibétain avec une histoire qui interroge les rapports complexes entre l’homme et l’animal. Son réalisme magique touchera tous les amoureux de la nature.
Synopsis : Dans une province déserte du Tibet, un léopard des neiges s’introduit de nuit dans un enclos et tue neufs moutons. Ivre de sang, il s’y endort et se retrouve prisonnier au matin. Une équipe de télévision arrive sur les lieux alors que le berger, fou de colère, promet de tuer l’animal si l’État refuse de lui accorder une compensation financière. Son frère, un jeune lama qui semble communiquer de manière subliminale avec l’animal, veut le sauver à tout prix, tout comme deux policiers qui tentent de raisonner le berger.
Critique : Ecrivain et réalisateur tibétain, Pema Tseden a été le premier à oser tourner un film entièrement en tibétain, alors que les autorités communistes continuent à nier l’existence de cet espace qu’elles considèrent comme une entité pleinement chinoise. Grâce à un bel écho dans les festivals du monde entier, Pema Tseden a pu continuer une riche carrière avec plusieurs films sortis en France comme Tharlo, le berger tibétain (2015), Jinpa, un conte tibétain (2018) et Balloon (2019). Tous ces films sont marqués par une esthétisation extrême de l’image et une volonté de décrire le quotidien des Tibétains, parfois contraints de vivre sous la férule d’une autorité chinoise pourtant lointaine sur le plan géographique.
© 2023 Beijing Nanji Pictures, Khorgas Lingyu Pictures, Mani Stone Pictures, Shenzhen Niubizi Pictures / Photo mis à disposition par ED Distribution. Tous droits réservés.
Lors du confinement lié à la Covid-19, Pema Tseden s’est souvenu d’une anecdote qui lui a été contée : un léopard des neiges avait décimé un troupeau sur un haut plateau tibétain, mais était resté coincé dans l’enclos. S’ensuivit un débat entre le berger et les autorités pour savoir s’il fallait abattre l’animal pourtant protégé par les lois internationales car en voie de disparition. Ainsi est née dans l’esprit de l’artiste la base de son nouveau film : Le léopard des neiges (2023).
Très rapidement, le cinéaste a souhaité scinder son film en deux parties distinctes, mais intrinsèquement liées par un montage alterné. Tout d’abord, la partie réaliste qui raconte de la manière la plus naturaliste possible le conflit entre le berger et les défenseurs de la nature qui tiennent à sauver le léopard. D’autre part, une partie située dans le passé – ou est-ce dans l’imagination du jeune moine tibétain ? – tournée en noir et blanc et volontairement surréaliste. Ainsi, le réalisateur souhaitait créer une œuvre qui serait en quelque sorte un essai de réalisme magique, ce qui correspond parfaitement à la mentalité tibétaine.
Le principal problème d’une telle histoire tient en un seul mot : il n’existe pas de léopard des neiges dressé et il fallait donc trouver les fonds pour créer un léopard en CGI qui soit suffisamment crédible pour être intégré dans les autres scènes. Si le résultat est souvent magnifique pour un budget qu’on imagine assez faible, il est évident que l’animal est en images de synthèse. Pourtant, grâce au regard affuté d’un cinéaste qui possède une véritable vision du cinéma, cela passe plutôt bien et le spectateur y croit suffisamment.
Tandis que les scènes réalistes s’inscrivent totalement dans un cinéma d’auteur très proche du documentaire, Le léopard des neiges se distingue surtout pour ses deux séquences sublimes en noir et blanc où les liens entre le moine tibétain et le léopard (son animal totem en quelque sorte) se tissent progressivement. D’une esthétisation extrême, ces deux séquences portent le film vers des sommets et nous font regretter que l’ensemble du film ne baigne pas dans les mêmes eaux du grand cinéma.
© 2023 Beijing Nanji Pictures, Khorgas Lingyu Pictures, Mani Stone Pictures, Shenzhen Niubizi Pictures / Photo mis à disposition par ED Distribution. Tous droits réservés.
Joué avec conviction par des gens du cru, le berger Jinpa (déjà vu dans d’autres films du réalisateur) ou encore le moine interprété par Tseten Tashi, sont parfaitement à leur place dans cet environnement naturel aux paysages grandioses. Dans le rôle du journaliste qui vient effectuer un reportage sur le fait divers, l’acteur professionnel Ziqi Xiong est également très doué pour jouer l’homme de dialogue capable de comprendre les positions de chacun.
Bien entendu, même si le cinéaste comprend parfaitement le point de vue du berger qui veut se débarrasser du prédateur, son point de vue personnel le pousse naturellement à prendre fait et cause pour l’animal avec qui il développe une véritable empathie. D’ailleurs, la fin positive, initiée par les autorités chinoises qui demandent la libération de l’animal – une concession au régime ? – est d’une réelle beauté lorsque l’interaction entre les hommes et le prédateur est à son maximum.
Si le film s’adresse bien entendu à tous les amoureux de la nature et des animaux, il doit aussi convaincre les cinéphiles purs et durs de se pencher sur son cas, ne serait-ce que pour ses deux séquences oniriques absolument splendides qui prouvent indéniablement le talent de son cinéaste. Malheureusement, ce dernier est décédé d’un infarctus quelques semaines seulement après la fin du montage à l’âge de 53 ans. Dès lors, il n’a même pas pu profiter de son film sur grand écran.
Présenté avec succès dans de nombreux festivals prestigieux, dont celui de Tokyo où il a remporté le Grand Prix et celui de Venise, Le léopard des neiges a été diffusé dans quelques salles françaises par la structure indépendante E.D. Distribution, une référence dans le domaine de l’art et essai exigeant.
Le félin des neiges restera 6 semaines à l’affiche dans la capitale et sa périphérie, avec un total de 3 040 spectateurs, finissant sa carrière parisienne à l’Espace St-Michel et à l’Archipel-Paris Ciné. Il avait débuté discrètement dans 7 cinémas, dont l’UGC Ciné Cité les Halles. Sa course en province se fera avec davantage d’endurance et le cycle de l’animal stoppera à 16 521 spectateurs.
Le métrage est désormais visible dans une édition DVD sortie en février 2025, mais aussi en VOD.
Critique de Virgile Dumez
© 2023 Beijing Nanji Pictures, Khorgas Lingyu Pictures, Mani Stone Pictures, Shenzhen Niubizi Pictures / Affiche : ED Distribution. Tous droits réservés.
Pema Tseden, Jinpa, Ziqi Xiong (Dylan Xiong), Tseten Tashi
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