En déroulant les affres d’un mariage arrangé, le Franco-Algérien Nadir Moknèche, à qui l’on doit les truculents Le Harem de Madame Osmane, Viva Laldjérie et Délice Paloma, pose un regard tendre et malicieux sur les traditions et les préjugés de son pays d’origine. Généreux et apaisant, L’air de la mer rend libre est à ne pas rater.
Synopsis : Rennes, de nos jours. Saïd habite encore chez ses parents. Il vit une liaison secrète avec Vincent. Incapable d’affronter sa famille, il accepte un mariage arrangé avec Hadjira. Après une histoire d’amour malheureuse et quelques démêlés avec la justice, elle aussi s’est résignée à obéir à sa mère. Piégés par leurs familles, Saïd et Hadjira s’unissent malgré eux, pour retrouver, chacun de son côté, leur liberté.
Dans la tradition de Délice Paloma
Critique : Souvent qualifié d’Almodovar algérien, Nadir Moknèche, qui s’est fait connaître grâce à Viva Laldjérie (2004), prend un malin plaisir à truffer son cinéma de personnalités fortes, souvent féminines comme l’icone Biyouna. Il les fait évoluer dans un univers où se côtoient émotion et humour, sans toutefois occulter des thèmes plus profonds propres à sa culture. Dès son premier film Le harem de Mme Osamane, il démontre un vrai talent à surpasser les clichés dont auraient pu être victimes ses sujets de prédilection, potentiellement clivants.
Dans L’air de la mer rend libre se dévoilent Saïd, Hadjira, Zineb, Rabia, Mahmoud et quelques autres, autant d’éléments rassemblés pour célébrer un événement qui n’en est un que pour certains membres de la famille. Pour les deux principaux protagonistes (Saïd et Hadjira), ce mariage piloté par leurs mères respectives ressemble plutôt à un devoir auquel ils ne peuvent échapper. Lui doit s’y soumettre pour masquer une homosexualité inavouable. Elle doit chasser le souvenir de quelques fréquentations amoureuses peu recommandables qui ont nui à sa réputation. L’un et l’autre ont accepté cet arrangement pour ne pas rompre le lien avec leur famille. Ils n’ont pourtant que peu de choses en commun (si ce n’est celle de tenter de fonder un foyer pour sauvegarder les conventions familiales), mais les voilà contraints de vivre côte à côte dans une prison à ciel ouvert qui permet à Hadjira de se créer un semblant de vie sociale et à Saïd de poursuivre ses rencontres nocturnes sous prétexte de pseudos activités sportives. Ils ont pourtant conscience que leur situation est bancale et ne pourra pas durer.
L’air de la mer rend libre et ouvre des perspectives inattendues (et bienvenues)
Voilà de quoi alimenter une chronique à tendance pathétique ou même violente. Mais c’est une toute autre voie qu’emprunte le réalisateur.
Découpé en plusieurs chapitres consacrés aux personnages principaux, le film adopte un ton léger et prévenant pour aborder, le sourire gentiment moqueur au coin des lèvres, la puissance du désir de respectabilité et de la sauvegarde des apparences, au cœur d’une petite bourgeoisie qui a gravi tous les échelons de l’intégration et tient à tout prix à conserver son rang. C’est avec une tendresse infinie et sans aucune volonté de jugement que sont scrutées ces héroïnes féminines qui se débattent avec les armes qui leur ont été transmises de génération en génération entre traditions et modernité.
De Hadjira (Kenza Fortas) tiraillée entre son désir de bien faire et son besoin d’émancipation à Zineb (Saida Bentaieb) emberlificotée dans sa soif d’honorabilité que l’orientation sexuelle de ce fils qu’elle aime est venue bousculer, en passant par Fariza (Zahia Behar qui a fait les beaux jours d’Une fille facile) et Rabia (Lubna Azabal) qui, toutes deux, incarnent des femmes libres, la première à travers une féminité exacerbée, la deuxième en optant pour une vulgarité colorée, toutes font preuve d’un naturel si déconcertant qu’il ne peut que faire naître l’empathie.
Dans le décor triste de leur appartement exigu où trône un aquarium plein de poissons qui tournent en rond, Saïd et Hadjira à qui Youssouf Abi-Ayad et Kenza Fortas prêtent leur délicatesse, réussissent le miracle d’inoculer une certaine fluidité sur un récit qui parle d’enfermement. Le superbe plan final, large et aux couleurs bleu-vert de la mer bretonne, confirme que dans toute situation inextricable, l’espoir subsiste…
Si l’air marin a certes le pouvoir d’apaiser les cœurs, la générosité et la dignité qui irradient tout le film en font une œuvre apaisante et on ne regrette pas de s’être embarqué dans ce voyage sans turbulence en compagnie de cette galerie de personnages pittoresques et attachants.
Sorties de la semaine du 4 octobre 2023
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