Pur film d’exploitation, La sœur d’Ursula mêle sans vergogne intrigue tortueuse typique du giallo avec un érotisme parfois très osé pour un résultat foutraque, mais sympathique. A réserver aux bisseux.
Synopsis : Ursula et Dagmar Beyne, deux sœurs ayant récemment hérité, vont passer des vacances en Italie dans un magnifique hôtel sur la côte. Elles cachent un sombre passé : abandonnées par leur mère, elles ont vu leur père sombrer dans la dépression et se suicider. Tombée dans la névrose, Ursula fuit le contact des hommes et vit recluse dans sa chambre, tandis que sa sœur s’adonne à une libido effrénée. Parmi ses courtisans : Roberto Delleri, le directeur de l’hôtel, et Filippo Andrei, un loubard cocaïnomane au comportement étrange. Les vacances des deux sœurs ne seront pas de tout repos puisqu’on découvre bientôt, aux abords de l’hôtel, le cadavre mutilé d’une prostituée, puis les corps d’un jeune couple…
Critique : En cette fin des années 70, le genre du giallo est déjà passablement épuisé par un nombre impressionnant de déclinaisons plus ou moins satisfaisantes. Les producteurs désireux de faire de l’argent facile décident peu à peu d’accentuer le côté pervers inhérent à ce sous-genre, tout en l’épiçant de scènes chaudes destinées à attirer le chaland souhaitant se rincer l’œil à peu de frais. La sœur d’Ursula peut être vu comme un véritable cas d’école en la matière, à savoir une œuvre qui devait être plutôt ambitieuse sur le papier, mais qui a été profondément dénaturée à force de compromissions, à tel point qu’il ne reste pas grand-chose du script d’origine dans ce pur film d’exploitation.
Oh my Gode !
A l’origine, le scénariste Enzo Milioni – plutôt habitué aux comédies légères – voulait tourner un film d’auteur que ses producteurs Armando et Francesco Bertuccioli lui promettent de mettre en chantier si celui-ci tourne d’abord une œuvre commerciale prouvant ses capacités de réalisateur. Dès lors, Milioni remit son scénario au placard et reprend la plume pour écrire ce qui deviendra l’intrigue principale de La sœur d’Ursula. Il s’agit d’un pur giallo basé sur un cas pathologique lié à une sexualité désordonnée. L’idée n’est pas neuve, mais le scénariste-cinéaste agrémente son histoire de quelques pointes d’originalité, comme une arme du crime plutôt extravagante (une sorte de godemichet en bois) et une ambiance fantastique étrange qui nous rappelle que la mode était alors aux pouvoirs paranormaux. Autant d’éléments qui peuvent séduire les amateurs du genre, toujours curieux de dénicher des formes renouvelées au sein de codes en principe immuables.
La sœur d’Ursula se perd dans l’érotisme gratuit
Mais la véritable singularité du long-métrage vient de la volonté des producteurs d’épicer le tout à l’aide de séquences érotiques que le réalisateur choisit de tourner lui-même, parfois à l’insu de ses acteurs qui découvriront la supercherie une fois le film sur les écrans. Au vu du résultat final, il est parfois difficile de savoir si l’on a affaire à un vrai giallo ou bien à un téléfilm érotique qui se rêverait pornographique. L’histoire policière est tellement diluée que le spectateur finit presque par la perdre de vue, alors qu’il assiste médusé à une collection quasiment ininterrompue de nus féminins, d’effeuillages d’une totale gratuité, d’accouplements plus ou moins bien filmés, et bien entendu de l’inévitable scène de lesbianisme.
Si La sœur d’Ursula reste soft, certains plans dévoilent subrepticement des sexes sans pudeur. Cet étalage de chair ravira bien évidemment les amateurs de beauté féminine naturelle, mais laissera pantois tous ceux qui comptaient surtout visionner un bon polar sanglant. A ce propos, tous les meurtres interviennent hors-champ et obéissent à une mécanique obsessionnelle interdisant toute variation en cours de métrage.
Une œuvre révélée en France par Le Chat qui fume en 2016, en plein âge d’or
Foutraque, le résultat final pourrait donc n’être qu’un effroyable nanar s’il n’y avait quelques qualités de réalisation. Enzo Milioni a eu l’intelligence de situer son intrigue dans un magnifique hôtel de la côte amalfitaine (à Ravello plus précisément), qui peut être considéré comme l’un des plus beaux sites de l’Italie méridionale. Jouant avec les perspectives, les plongées et contre-plongées, le réalisateur inclus ses acteurs dans une géographie accidentée qui séduit inévitablement la rétine. La photographie Vittorio Bernini contribue à créer cette atmosphère chaleureuse qui baigne l’ensemble du métrage. Dans ce cadre, même la musique très kitsch de Mimi Urva apparaît comme sympathique. Enfin, les acteurs sont plutôt bons, notamment Marc Porel, convaincant en drogué notoire (l’acteur disparaîtra en 1983 en raison de ses problèmes d’addiction), mais aussi la jolie Barbara Magnolfi qui sortait tout juste du Suspiria de Dario Argento.
Inconnu en France pendant des décennies, faute d’une sortie en salle et en VHS, La soeur d’Ursula doit sa renommée tardive au Chat qui Fume dont il s’agira en novembre 2016 de l’un de ses premiers titres édités en HD, après La nuit des diables, Exorcisme tragique, et Terreur sur la lagune. A l’époque, l’éditeur revenait de quelques années difficiles, vers des éditions finalement plus ambitieuses, combinant DVD et HD, et bénéficiant de packagings qui installèrent une vraie demande parmi les collectionneurs comblés par les bonus et la découverte d’oeuvres rares dans de magnifiques écrins.
Le test blu-ray
Très soignée, cette superbe édition du Chat qui fume vaut le détour pour son packaging luxueux, ses suppléments précieux et la qualité du transfert. Tout cela pour une œuvre très mineure qui en ressort grandie.
Compléments & packaging : 4.5 / 5
Deux modules principaux viennent enrichir la vision de ce giallo érotique. Le premier consiste en un entretien émouvant avec le réalisateur Enzo Milioni datant de 2008 (36mn).
D’une apparente douceur, le cinéaste revient avec beaucoup de détails sur la conception de ce premier long-métrage, sur sa volonté de faire au départ un cinéma d’auteur, puis sur ses concessions multiples. Il évoque également sa complicité avec le couple formé par Barbara Magnolfi et Marc Porel, ainsi que sa tristesse de ne pas avoir eu par la suite des nouvelles de sa star féminine, notamment après le décès tragique de Marc Porel. Ce supplément contient à lui tout seul plus d’émotion que l’intégralité du métrage proposé et vaut donc d’être vu.
Le second documentaire est un entretien récent avec l’actrice Barbara Magnolfi qui est bien moins tendre avec le film qu’elle n’aime absolument pas. Effectivement, celle-ci s’est sentie trahie par le réalisateur lorsqu’elle a découvert toutes les séquences érotiques ajoutées au scénario qui devait être au départ un simple thriller. L’actrice est assez crédible puisqu’elle ne participe effectivement jamais aux effeuillages et autres séquences à caractère sexuelle du métrage, ce qui suppose que tout ceci a pu se faire dans son dos. Durant ces 23 minutes, elle préfère donc évoquer sa relation avec Marc Porel, ainsi que sa participation à Suspiria qu’elle considère à juste titre comme son meilleur film en tant qu’actrice.
Enfin, un petit module de six minutes permet à Philippe Chouvet de Psychovision de s’exprimer sur quelques gialli mineurs qu’il considère comme fondamentaux. A noter que La sœur d’Ursula n’en fait pas partie… Enfin, des bandes annonces ferment ce programme riche de plus d’une heure.
Image : 4.5 /5
Très souvent splendide, l’image proposée par l’éditeur est de toute beauté, mettant notamment en valeur les magnifiques paysages de la côte amalfitaine. La compression est de bonne tenue, les couleurs sont chaleureuses et la définition, sans être optimale, est de très bonne qualité, surtout au vu de la rareté du film concerné. Bref, il s’agit d’une copie qui permet de réévaluer le travail de l’équipe technique italienne, toujours aussi professionnelle, même pour emballer des produits purement commerciaux.
Son : 3 / 5
Une seule piste sonore en version originale italienne sous-titrée est disponible en DTS HD mono puisque le film n’a pas été exploité en France. Elle est d’une belle clarté, même si certains acteurs se doublent mal (les films italiens étaient toujours postsynchronisés) et que leurs lèvres ne sont pas toujours raccord avec leur voix. Peu de scories à déplorer, même si l’ensemble demeure un petit peu étriqué, mono oblige.
Critique & test blu-ray de Virgile Dumez