Synopsis : Jour après jour, tout au long de l’année scolaire 1992-1993, Mariana Otero a filmé les élèves d’un collège implanté au cœur d’une cité en Seine Saint-Denis, dans les salles de cours ou le bureau du Principal, pendant les conseils de classe voire les conseils de discipline.
Critique : Loin de la fiction verbalement joviale d’Entre les murs, Mariana Otero, en 1992-93, a posé sa caméra pour Arte dans un collège ZEP de Seine Saint-Denis. Le résultat est saisissant de réalisme social et préfigure un pan du cinéma qui s’en inspirera beaucoup.
Dans une grisaille de banlieue, où l’avenir terne déteint sur le comportement de chacun, la documentariste, qui connaîtra le succès à bien des reprises par la suite au cinéma, a décelé un microcosme de règles et de codes où chaque intervenant – élèves, professeurs, principal ou inspecteur – se bat pour imposer son point de vue, parfois au détriment de chacun. La cohabitation est forcée. Les contraintes familiales, pédagogiques, éducatives ou économiques se mélangent. Les adultes y laissent de leur optimisme face à la complexité d’une situation de constat qu’ils ne peuvent maîtriser, mais qu’ils tentent, provisoirement, d’apprivoiser.
Chacun essaie de survivre. Les enfants mentent ; d’autres fuient (l’ado taxé de pédé) et la précarité mentale des profs précipite certaines décisions arbitraires pour qu’ils puissent tout simplement continuer à se lever le matin.
Dans ce monde imparfait, l’économie de moyens s’avère plus forte que la raison. On retient ainsi la rencontre irréelle avec un inspecteur académique hautain et hors-sol, qui s’obstine dans des décisions chiches commandées par ses supérieurs.
La situation parentale désastreuse conduit les jeunes du ghetto vers une impasse comportementale. Elle les mène inlassablement dans le bureau des CPE, du principal, et les précipite en conseil de discipline, alors que l’établissement ne peut répondre à leur indiscipline croissante.
Le collège s’essaie à tout pour préserver le semblant d’ordre dans le chaos qui s’établit : permis à points, activités périscolaires après les cours, rencontres infructueuse avec les parents… Il en ressort un statuquo et un désarroi poignant quand la volonté sur place de faire évoluer les choses au quotidien est nullement à remettre en question.
Sans jamais intervenir, la réalisatrice prend le pouls de ce microcosme scolaire, chronologiquement, comme dans un feuilleton où chaque histoire (vol de magnétoscope, grève des profs…) est suivie jusque dans sa résolution, s’il y en a une.
On assiste à la prérentrée des enseignants, aux conflits ponctuels traduits par le malaise d’une jeunesse déracinée qui ne comprend pas l’adulte et vit la réprimande comme une injustice ; on découvre la détresse des enseignants las des cours qui dérapent (la fameuse 4e techno !), les interventions actives du principal, le fonctionnement du conseil de discipline où chacun y va de sa voix pour argumenter…
Le collège communautaire où personne ne souhaite aller, véritable chance pour les élèves de se mouler dans le ciment social de la République, est montré sans fioriture, ni désir d’enjoliver ou de rendre plus sensationnel une situation intrinsèquement explosive. On peut y apprécier le refus d’expliciter tout point de vue politique, alors que celui-ci s’impose à la raison des spectateurs par la force des choses.
Au final, la documentariste, en confrontant toutes ses individualités, ébranle le mythe de l’école unique et souligne l’inégalité flagrante à laquelle sont soumis les collégiens qui pourraient trouver une herbe bien plus verte ailleurs. Dans cet autre contexte, eux aussi auraient pu être les maîtres du monde.
Voir en VOD
Le DVD
Une édition multi-zone soignée, proposée par Blaq Out sur deux disques, en 2008. Le film est disponible désormais en VOD et en achat numérique.
Compléments : 3 / 5
Sur le premier disque, l’on trouve un entretien avec Mariana Otero, qui revient sur sa démarche de documentariste, sur le choix de l’établissement, le montage et le travail de scénarisation, ainsi que sur le recours à la voix-off… Vingt-six minutes immanquables à découvrir après le visionnage des 6 épisodes.
En bonus caché, une conversation avec Abdel et Stéphanie, deux anciens élèves, 15 ans après…
Image & son : 3 /5
Le travail sur l’image est sommaire, mais retranscrit sans défaut le document social d’époque, forcément peu esthétique. Le son 2.0 est tout à fait honorable, même s’il ne joue jamais sur les effets.
Ouverte sur l’international, cette édition multi-zone propose des sous-titres anglais pour les anglophones qui souhaiteraient se replonger « entre les murs » des quartiers difficiles français.