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La fièvre de Petrov est le film le plus libre et personnel de Kirill Serebrennikov, bien qu’adapté d’un roman. Une œuvre majeure d’une incontestable créativité visuelle et narrative.
Paracétamol et vodka
Synopsis : Une journée dans la vie d’un auteur de bandes dessinées et de sa famille, dans la Russie post-soviétique. Souffrant d’une grippe intense, Petrov est entraîné par son ami Igor dans une longue déambulation alcoolisée, à la lisière entre le rêve et la réalité. Progressivement, les souvenirs d’enfance de Petrov ressurgissent et se confondent avec le présent.
Critique : Neuvième long métrage de Kirill Serebrennikov, La fièvre de Petrov est une coproduction russo-helvético-franco-allemande. Le réalisateur est connu en France depuis Le disciple, présenté dans la section Un Certain Regard en 2016, et qui proposait une vision critique de la société russe. La fièvre de Petrov est en compétition officielle au Festival de Cannes 2021 dans des circonstances particulières, comme cela avait été le cas avec Leto, en 2018. En effet, le cinéaste, également metteur en scène et directeur de théâtre, connaît depuis quelques années des déboires judiciaires : il fait l’objet de poursuites pour détournement de fonds publics. Un procès kafkaïen n’en finit pas, et de nombreuses voix s’insurgent pour dénoncer une volonté étatique d’étouffer un artiste dissident. Le réalisateur est toujours assigné à résidence et c’est via son smartphone qu’il a pu brièvement communiquer avec le public cannois qui lui a réservé une chaleureuse standing ovation.
La fièvre de Petrov est marquée par une fébrilité et une ironie noire qui laissent à penser que le film a aussi servi d’exutoire à son auteur. En fait, il s’agit à la base de l’adaptation d’un roman de l’écrivain estonien Alexeï Salnikov Les Petrov, la grippe, etc. Paru dans une revue littéraire, l’ouvrage a ensuite été mis en ligne dans une version numérique, avant d’être publié en 2020. Serebrennikov s’est emparé avec une motivation évidente d’un matériau foisonnant. L’action se déroule pendant les fêtes de Noël et suit les vicissitudes d’un couple. Petrov (Semyon Serzin) est à la fois mécanicien et auteur de bande dessinée. Il est entraîné dans une beuverie par des potes qui l’associent également à une combine lors d’un transport funéraire.
La fièvre de Petrov, un trip cinématographique exaltant
Les Petrov, la grippe, etc. © 2021 Hype Film. Tous droits réservés.
Son épouse (Chulpan Khamatova) est bibliothécaire et affronte avec autorité des usagers plus ou moins conciliants, dont les membres d’un cercle littéraire de quartier se prenant pour de futurs écrivains nationaux. Les Petrov côtoient d’autres éléments d’une faune excentrique composée de vieillards libidineux se moquant de fillettes dans le métro ou de beaux-parents étriqués ne voyant pas plus loin que les murs de leur appartement miteux. Petrov et sa femme éprouvent des difficultés à accomplir certains rituels, comme accompagner leur fils à l’école. C’est qu’ils ont été contaminés par une méchante grippe (métaphore de la Covid ?) qui les rend fiévreux et pourrit leur quotidien. Dès lors, le récit adopte leur point de vue sachant qu’ils n’ont pas les idées claires, et devient un casse-tête ininterrompu qui abolit les frontières spatiales et surtout temporelles. Le tout dans la fureur et le bruit. Car ça gesticule et ça hurle à tout-va dans La fièvre de Petrov, le paracétamol étant une denrée rare, et l’abus de vodka nuisant à la clairvoyance des personnages.
Il s’ensuit des séquences d’un surréalisme excitant, et une narration privilégiant le relativisme, une même scène pouvant être filmée selon plusieurs points de vue. Kirill Serebrennikov témoigne d’une inventivité dans son écriture et sa mise en scène, rappelant aux cinéphiles les audaces d’un Fellini ou d’un Lynch. Il faut certes accrocher sa ceinture pour ce trip filmique avec reine des neiges et croque-morts, ne laissant aucun répit. Et le spectateur sortira de la projection rassasié ou assommé. Mais le jeu en vaut la chandelle et La fièvre de Petrov constitue une proposition cinématographique audacieuse qui confirme l’importance de son réalisateur.
Critique de Gérard Crespo
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