Si le début du film peine à sortir des sentiers battus, Mati Diop arrive très vite à donner à son conte une dimension onirique qui en fait tout le prix.
Synopsis : Dans une banlieue populaire de Dakar, les ouvriers du chantier d’une tour futuriste, sans salaire depuis des mois, décident de quitter le pays par l’océan pour un avenir meilleur. Parmi eux se trouve Souleiman, le petit ami d’Ada, promise à un autre. Quelques jours après le départ des garçons, un incendie dévaste la fête de mariage de la jeune femme et de mystérieuses fièvres s’emparent des filles du quartier. Ada est loin de se douter que Souleiman est revenu…
Un nouveau film africain sur l’exploitation et l’immigration
Critique : Formée au Fresnoy (Studio national des Arts contemporains), révélée comme actrice dans 35 rhums de Claire Denis, Mati Diop avait été ensuite remarquée par des courts et moyens métrages dont Atlantiques et 1000 soleils. Coécrit avec Olivier Demangel, un des scénaristes de la série politique Baron noir, son premier long adopte un cadre naturaliste dans sa première heure. Des ouvriers du bâtiment en situation précaire réclament des salaires qui ne leur ont pas été versés depuis des mois, certains d’entre eux opteront pour le choix d’une vie qu’ils espèrent meilleure en prenant une embarcation qui devra les mener en Espagne ou dans un autre pays. De La Noire de réalisé par Ousmane Sembene à O KA de Souleymane Cissé, le cinéma africain a fréquemment abordé les thématiques de l’exploitation et de l’immigration, et Atlantique n’échappe pas à la règle.
Mati Diop empreinte avec originalité une voie à la fois policière et onirique qui donne une véritable impulsion à son film
Ici, le contraste est fragrant entre une minorité opulente qui vit dans des quartiers cossus et une majorité désabusée dont une jeunesse qui peine à trouver sa place dans une capitale qui oscille entre traditions ancestrales aliénantes (les mariages arrangés) et mirages d’un pseudo-modernisme occidental (la mégalomanie immobilière, les discothèques normalisées). C’est dans cet univers tendu que se noue l’idylle entre Ada et Souleiman mais la jeune fille est promise à un héritier qu’elle n’aime pas et lui est sans un sou. La première partie du film de Mati Diop pourrait laisser penser à un film mineur maniant la joliesse et usant d’un politiquement correct qui révèle certes les meilleures intentions mais peine à sortir des conventions du film de festival. Mais dès la scène de l’incendie qui amène le doute sur ce qui est arrivé véritablement à Souleiman et ses amis, le métrage emprunte une voie à la fois policière et onirique qui lui donne une véritable impulsion. L’univers ésotérique des croyances mythologiques africaines, une série de séquences en trompe-l’œil et la double (voire multiple) interprétation des faits qui se déroulent à l’écran suscitent un réel trouble. Mati Diop parvient à créer une atmosphère faisant basculer progressivement son film dans une dimension qui n’est pas sans évoquer, certes à un moindre degré, les obsessions d’un David Lynch ou d’un Apichatpong Weerasethakul. La qualité indéniable des scènes centrales et finales au carrefour du fantastique et de l’exploration d’un univers mental amène alors à reconsidérer la première partie qui malgré sa banalité prendra rétrospectivement du sens. Il faut aussi souligner la qualité technique de l’œuvre qui a bénéficié de moyens techniques et artistiques importants pour une production franco-sénégalaise. On louera en particulier la sublime photo de Claire Mathon qui contribue au pouvoir de fascination de ce premier long métrage prometteur.
Sélection officielle : Cannes 2019
Critique : Gérard Crespo