La Cordillère des songes : la critique du film et le test DVD (2019)

Documentaire, Film Historique | 1h25min
Note de la rédaction :
8.5/10
8.5
La cordillère des songes de Patricio Guzmán, affiche du film

  • Réalisateur : Patricio Guzmán
  • Date de sortie: 30 Oct 2019
  • Nationalité : Chilien, Français
  • Titre original : La Cordillera de los sueños
  • Scénariste(s) : Patricio Guzmán
  • Compositeur : Miranda & Tobar
  • Société de production : Atacama Productions
  • Distributeur : Pyramide Distribution
  • Editeur vidéo : Pyramide Vidéo
  • Date de sortie vidéo : 7 avril 2020 (VOD), 7 juin 2020 (DVD, date repoussée en raison de la crise du coronavirus)
  • Box-office France / Paris-Périphérie : 56 941 entrées / 12 472 entrées
  • Budget : 1.71 M€
  • Classification : Tous publics
  • Festival : Sélection Officielle Festival de Cannes 2019 Séance Spéciale : Œil d'or du Meilleur Documentaire
  • Formats : 1.85 : 1 / Dolby SR-SRD 5.1 Distribué par : PYRAMIDE
  • Crédits : © Atacama Productions
Note des spectateurs :

Continuant à suivre une voie à part, Patricio Guzmán signe avec La Cordillère des Songes un nouvel essai poétique et personnel, qui brasse avec talents des thèmes multiples.

Synopsis : Au Chili, quand le soleil se lève, il a dû gravir des collines, des parois, des sommets avant d’atteindre la dernière pierre des Andes. Dans mon pays, la cordillère est partout mais pour les Chiliens, c’est une terre inconnue. Après être allé au nord pour Nostalgie de la lumière et au sud pour Le bouton de nacre, j’ai voulu filmer de près cette immense colonne vertébrale pour en dévoiler les mystères, révélateurs puissants de l’histoire passée et récente du Chili.

Une œuvre à part, concentré d’émotions

Critique : La Cordillère des songes clôt magnifiquement (après Nostalgie de la lumière et Le Bouton de nacre) une trilogie que Julien Joly appelle, dans les bonus, la « Trilogie des éléments ». Plus qu’un documentaire, c’est un essai poétique et personnel, ô combien envoûtant ; on peine d’ailleurs à exprimer les émotions qui submergent le spectateur, parce qu’elles sont multiples et subtiles. On tremble de rage en écoutant les témoignages des rescapés de la dictature, on suffoque devant la beauté de la Cordillère filmée par des drones, on s’indigne face aux images d’archives… et la belle voix du cinéaste ajoute sans emphase une réflexion sur l’enfance et l’exil qui touchera chacun.

Sous le signe de la pierre

Malgré ses allures d’errance, La Cordillère des songes est construit très rigoureusement, avec un entrelacs de correspondances et d’échos qui enrichissent un mouvement très net : on part de la Cordillère pour y revenir en passant par Santiago et la dictature de Pinochet.  Guzmán inscrit son métrage en profondeur dans des lieux précis qu’il place sous le signe du minéral : que ce soit la montagne elle-même, les murs ou les pavés, c’est la pierre qui fait le lien entre les endroits et les temps évoqués. Mais cette pierre multiple s’enrichit de significations diverses au fur et à mesure que le film progresse. C’est par les symboles qu’on entre dans le domaine métaphorique : la Cordillère y est explicitement comparée à une mère qui protège mais enferme aussi le Chili, elle est aussi témoin muet, elle détient des réponses sans les livrer. Tout part d’elle puisque les pavés, battus enfant par le cinéaste, puis par les tanks, proviennent des carrières en montagne. Comme souvent, le film part d’un détail précis (un plan sur quelques pavés) et, quand il élargit le champ, une autre réalité se fait jour : entre les pavés, des plaques mémorielles célèbrent les martyrs de la dictature. La pierre témoigne, la pierre accuse. Elle est également révélatrice, ne serait-ce que parce qu’elle recèle des failles, dont la signification symbolique renvoie aussi bien au pays qu’au réalisateur.

Le Chili dans La cordillère des songes de Patricio Guzmán

© 2019 Atacama Productions

Un art poétique ambigu

Encore une fois, Patricio Guzmán, tout en tournant un documentaire, s’interroge sur le genre. Mais là aussi, on serait en peine de trouver des réponses claires ; certes, il en conserve les topoï (interview face caméra, données chiffrées, appel aux spécialistes, ouverture aux hasards du tournage), mais ce ne sont que des atours. Car si, comme le dit un intervenant, « l’artiste est le gardien de la beauté de son pays », le rôle de Guzmán est plutôt de questionner, de tenter de révéler ce que le pays dissimule. À cet égard, la magnifique séquence dans laquelle on découvre, en un très beau travelling ascendant, que la maison de son enfance n’est plus qu’une façade dont l’intérieur est détruit sonne comme un art poétique : le documentariste est celui qui va au-delà des apparences, gratte là où ça fait mal, mais sans prétendre à une impossible objectivité. Parlant du Chili, Guzmán parle de lui et, évidemment, l’inverse est vrai. Mais cet art poétique ne se satisfait jamais d’une définition univoque ; la rencontre avec un confrère, Pablo Salas, conduit à d’autres questionnements : qui est le plus autorisé à filmer le Chili ?  Guzmán qui l’a quitté ou Salas qui, au péril de sa vie, y est resté ? Autrement dit, quelle est la légitimité du documentariste ? Cette question, peu formulée, parcourt La Cordillère des songes comme un fil rouge souterrain. Au-delà même, l’interrogation porte sur le sens profond : Salas a tout filmé, et cependant ses innombrables cassettes dorment sur des étagères, fragiles et soumises aux possibles détériorations. En recréant poétiquement la réalité dans ses films, Guzmán a-t-il fait le bon choix ? La fin, si elle n’apporte pas de réponse, est travaillée par la culpabilité et le constat dramatique : l’exil conduit à la solitude et à la souffrance.

La Cordillère des songes, un film politique

Le réalisateur laisse la parole à Salas, plus apte à le dire franchement, pour faire la description du Chili actuel. Comme la maison d’enfance n’est plus qu’une façade, la démocratie est un apparat qui dissimule une réalité moins glorieuse : Pinochet a triomphé, le Chili est un pays toujours gouverné par les mêmes profiteurs, qui refusent d’admettre leur passé et vendent les richesses aux étrangers. Ces prédateurs, Salas les inclut dans un système économique destructeur, le néolibéralisme, institué par la dictature et jamais abrogé qui a transformé Santiago en un labyrinthe anonyme, en une ville qui tourne le dos à la Cordillère. La dénonciation ne s’appuie pas sur des chiffres et des intervenants multiples, elle repose sur la parole, et quelques images symboliques. Là encore, le refus de l’objectivité tranche avec les codes du documentaire.

De la beauté des paysages

On le sait depuis longtemps, la montagne est photogénique.  Guzmán ne se prive pas d’images superbes, il ne renonce pas à l’esthétique. Mais le survol de la Cordillère n’est pas qu’un goût de la beauté : il s’agit en scrutant un paysage de l’interroger, de le faire parler. Certes, la démarche est vaine, la montagne ne révélera rien, sinon une impassibilité cruelle.  Mais l’important n’est pas la réponse, le cinéaste le sait bien ; de même que dans les voyages réussis, la destination importe moins que le cheminement, La Cordillère des songes vaut par cet entêtement à questionner sans relâche, à buter sur un monde opaque en une lutte infinie, passionnante, et profondément humaine.

 François Bonini

Les sorties de la semaine du 30 octobre 2019

La cordillère des songes de Patricio Guzmán, affiche du film

© 2019 Atacama Productions

Le test DVD :

Après une carrière discrète sur 19 semaines, d’abord dans 47 salles en première semaine, puis dans une ultime salle, la semaine de la fermeture des cinémas en raison de la crise du coronavirus, La Cordillère des songes est sorti initialement en VOD le 7 avril et a vu la sortie physique repoussée au 7 juin en raison des contraintes de confinement. L’édition physique vaut le détour. Suppléments précieux et qualités techniques sont au rendez-vous.

 Compléments : 4/5

C’est Byzance. Passons sur les quatre bandes-annonces, tout le reste est précieux : une analyse de Julien Joly, précise et très écrite, qui revient non seulement sur le film mais aussi la carrière du cinéaste (10mn) ; morceau de roi, le long entretien chapitré avec  Guzmán, tout à la fois réflexion philosophique, technique et art poétique (26mn) ; et c’est encore lui qui signe deux rencontres touchantes avec des artistes chiliens (5 et 6mn), portraits sobres et élégants ; il est également responsable du court making-of (6mn).

L’image : 4,5 / 5

 Pour retranscrire la beauté somptueuse de la Cordillère des Andes, il fallait une image précise, raffinée. C’est le cas. Même les archives sont très lisibles, sans atteindre évidemment la qualité des séquences contemporaines.

Le son : 4,5 / 5

Les deux pistes proposées (5.1 et 2.0) restituent sans efforts une bande-son parfois subtile. Elles donnent toute leur force dans les grondements de la nature, mais aussi dans la richesse de la voix off. Pas de VF évidemment pour La Cordillère des songes qui était destiné aux cinémas d’art et essai.

 François Bonini

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La cordillère des songes de Patricio Guzmán, affiche du film

Bande annonce de La Cordillère des songes

Documentaire, Film Historique

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