Description implacable de la dictature brésilienne des années 70, Je suis toujours là est aussi le portrait bouleversant d’une femme à la résilience admirable et dont la dignité force le respect. Simple, beau et fort.
Synopsis : Rio, 1971, sous la dictature militaire. La grande maison des Paiva, près de la plage, est un havre de vie, de paroles partagées, de jeux, de rencontres. Jusqu’au jour où des hommes du régime viennent arrêter Rubens, le père de famille, qui disparait sans laisser de traces. Sa femme Eunice et ses cinq enfants mèneront alors un combat acharné pour la recherche de la vérité…
Une histoire vraie bouleversante
Critique : En 2015, l’écrivain Marcelo Rubens Paiva a publié le récit autobiographique sur sa jeunesse intitulé Ainda Estou Aqui (Je suis toujours là) qui revenait sur le drame vécu par sa famille durant la dictature brésilienne des années 70. Ce récit a bouleversé le grand public brésilien et celui-ci fait donc l’objet d’une adaptation pour le cinéma réalisée par le grand Walter Salles qui n’avait plus tourné de fiction depuis l’échec commercial cinglant de Sur la route (2012) d’après Jack Kerouac.
© 2024 VideoFilmes – RT Features – MACT Productions – Arte France Cinéma – Conspiração Filmes – Globoplay / Photos : Studiocanal. Tous droits réservés.
Ce nouveau long-métrage présentait plusieurs défis de taille, dont celui de proposer une fidèle reconstitution des années 70, puis de faire ressentir le passage des années puisque la dernière demi-heure se situe un temps dans les années 90, puis en 2014. Ainsi, il fallait établir une parfaite continuité dans le casting et rendre accessible cette histoire de famille pour un public non familiarisé avec cette époque. A la fois biopic fondé sur l’histoire véridique du député Rubens Paiva qui fut enlevé, torturé et exécuté par le pouvoir en place en 1971, mais aussi portrait d’une famille marquée par la résilience face à l’adversité, Je suis toujours là (2024) propose de plonger dans les recoins sombres de l’histoire du Brésil.
La réponse de Walter Salles aux partisans de Bolsonaro ?
Sa réalisation résonne comme une piqure de rappel au sein d’une nation qui vient de passer par une phase populiste inquiétante durant la présidence de Jair Bolsonaro, avec une recrudescence de discours favorables à la dictature des années 70. En prenant le contre-pied de cette posture réactionnaire, Walter Salles s’engage fortement pour défendre la démocratie et répondre aux populistes en leur rappelant ce que fut la réalité du régime. Si le Brésil a reconnu officiellement le nombre de 434 morts, il faut ajouter à ce chiffre des dizaines de milliers d’exilés, ainsi que des personnes disparues.
Le député Rubens Paiva est sans doute l’une des figures les plus célèbres de cette période. Voilà pourquoi Walter Salles nous invite à suivre son quotidien durant une première demi-heure qui nous permet de mieux connaître sa famille, marquée par un nombre élevé d’enfants. Salles décrit un monde fait de jeux et d’innocence, d’autant que la famille appartient à la grande bourgeoisie brésilienne. L’insouciance règne, même si la dictature est déjà bien installée lorsque le film débute en 1971. Après ces séquences importantes pour bien faire connaissance avec la famille, Je suis toujours là bascule inévitablement dans l’horreur de la dictature, avec l’arrestation du député, puis de sa femme et de l’une de ses filles.
Au cœur du film, la grande actrice Fernanda Torres
Si Walter Salles nous évite les habituelles séquences de torture physique, les atteintes au moral et à la dignité humaine sont représentées avec justesse. Par la suite, le cinéaste insiste sur le combat de l’épouse du député pour retrouver son mari, puis sa détermination à prouver son décès et à obtenir une reconnaissance de responsabilité de la part de l’Etat brésilien. Dès le départ, le métrage tourne autour de ce beau personnage féminin incarné avec force par la grande Fernanda Torres (dont la prestation vient d’être honorée d’un Golden Globe de la meilleure actrice dans un drame). D’abord simple mère au foyer qui ignore tout des activités de son mari, cette femme va prendre son destin en main et continuer la lutte, tout en élevant au mieux sa ribambelle de gamins.
© 2024 VideoFilmes – RT Features – MACT Productions – Arte France Cinéma – Conspiração Filmes – Globoplay / Photos : Studiocanal. Tous droits réservés.
Outre une description sans fard de la dictature que devraient visionner tous les nostalgiques de ce régime scandaleux, Je suis toujours là est aussi le portrait très émouvant d’une femme combative, faisant passer l’intérêt de sa famille et de ses enfants avant ses propres émotions. Comme souvent dans le cinéma de Walter Salles, on adore ces plans où le cinéaste filme les yeux de son héroïne pleins de tristesse, mais affichant pourtant un sourire de façade afin de ne pas inquiéter sa progéniture. Lors des séquences finales où l’héroïne très âgée est désormais interprétée par la quasi centenaire Fernanda Montenegro, Walter Salles nous refait le coup des derniers instants de Central do Brasil (1998) où l’émotion finit par sourdre du simple regard de la comédienne.
Une piqure de rappel nécessaire à l’heure du populisme décomplexé
Jamais mélodramatique, Je suis toujours là demeure d’une parfaite justesse de ton de bout en bout. Certains pourront lui reprocher une sorte d’académisme dans sa façon de développer de manière linéaire une histoire déjà vue, mais il le fait en pleine possession de son art. On adore notamment sa gestion des enfants – nombreux – de cette famille. Il accorde à chacun une attention particulière qui leur permet d’exister pleinement au cœur de l’intrigue, comme autrefois dans son excellent Une famille brésilienne (2008).
Réussissant à bouleverser le spectateur sans avoir recours au moindre effet de manche, Je suis toujours là est donc une œuvre admirable en tout point et qui vient rappeler au monde entier les horreurs de la dictature à une époque où les populistes triomphent un peu partout, au risque d’aboutir à une disparition progressive de la démocratie. Le danger est réel et Je suis toujours là sonne comme un avertissement qu’il serait bon de méditer.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 15 janvier 2025
© 2024 VideoFilmes – RT Features – MACT Productions – Arte France Cinéma – Conspiração Filmes – Globoplay / Affiche : Fidelio. Tous droits réservés.
Biographies +
Walter Salles, Maria Manoella, Fernanda Montenegro, Fernanda Torres, Selton Mello
Mots clés
Cinéma brésilien, La dictature au cinéma, L’Amérique latine au cinéma, La famille au cinéma, Portrait de femme