Hiruko the Goblin est le second délire du réalisateur Shinya Tsukamoto. Ce film de fantômes japonais, délirant et gore, mais loin de l’hystérie cyberpunk de Tetsuo, est plus accessible, tout en étant énervé et créateur.
Synopsis : Un professeur de lycée et son élève disparaissent mystérieusement pendant les vacances d’été. Avant de s’évaporer dans la nature, M. Yabe avait contacté Reijiro Hieda, archéologue aux méthodes excentriques, pour lui faire part d’une étrange découverte qu’il venait de faire. Le scientifique débarque alors dans le village et part à la recherche de son ami aux côtés du jeune Masao, le fils du professeur. Ensemble, l’improbable duo va découvrir que le lycée se trouve au-dessus d’un ancien tumulus qui pourrait bien être une porte souterraine de l’enfer…
Critique : Sorti de nulle part en 1989, Tetsuo: Iron Man est un choc pour le public nippon, amateur de science-fiction antisystème et autre dystopie masochiste et viscérale. Aussi le succès est retentissant malgré un caractère underground et un budget minime. Tetsuo premier du nom reste de nombreuses années dans les salles allemandes (en France, il faudra attendre 1994 et un double programme avec le Vibroboy de Jan Kounen). La Shochiku-Fuji Company, à la fois distributeur et boîte de production, propose à son auteur, Shinya Tsukamoto, l’adaptation d’un manga de Daijirô Morohoshi comme rampe de lancement dans le domaine du cinéma dit commercial.
L’après Tetsuo de Shinya Tsukamoto
Avec un budget conséquent pour des effets spéciaux omniprésents (tantôt des animatroniques ou de la stop-motion), le film permet à Tsukamoto de collaborer avec des professionnels qui lui permettent de voir les coulisses d’un plateau canonique, ce qui, pour l’expérience, permettra à l’esprit déjanté de la nouvelle vague japonaise (il a beaucoup influencé son contemporain, Takashi Miike) d’améliorer son style. Cela lui permet aussi de rendre possible des hommages appuyés à des maîtres américains qui ont nourri son cinéma quand il avait la vingtaine (James Cameron, pour Aliens, et Sam Raimi, pour Evil Dead 2, en premier).
De l’action, de l’horreur, de la comédie… Oui, c’est bien l’esprit d’Hiruko the Goblin, véritable comédie horrifique extrêmement gore qui ne manque pas de ressembler aux vignettes quasi parodiques de Sam Raimi quelques années plus tôt.
De façon aussi intéressante pour Shinya Tsukamoto, de grands noms figurent au générique : la gloire pop des années 60-70 Kenji Sawada, le cabossé Hideo Murota, dont la filmographie balaie plus de 200 films, autant de personnalités d’un autre âge qui lui permettent d’intégrer la grande histoire du cinéma japonais.
© 2009 Keiko Kusakabe, Makotoya CO. LTD, Shinya Tsukamoto, Kaijyu Theater © 2009 Daurio Morohoshi/Shueisha Tous droits réservés / All rights reserved
Shinya Tsukamoto rattrapé par le système ?
Evidemment, le cyberpunk de Tetsuo n’est plus. Ou du moins en apparence. Tetsuo, hymne à la douleur profondément urbain, peut retrouver par moment dans le plus bucolique Hiruko The Goblin des éléments qui évoquent sa force. La peinture de créatures surnaturelles et démoniaques, des Yokai protéiformes, qui pullulent, aux allures d’insectes arachnides et rampants, ou plutôt de têtes humaines peinturlurées qui s’agitent hystériquement sur des pattes d’araignée (Hiruko serait-il une version nippone de The Thing de Carpenter ?), sont autant de ponts entre les deux métrages dont l’ADN puise dans la folie du cinéaste azimuté. Les effets infernaux sont ainsi du plus bel effet, dans leur fébrilité qui ravive les échos du Tokyo destroy du premier “long” métrage de Shinya Tsukamoto.
Enfer et damnation chez les esprits (tourmentés) japonais
Traité avec humour, cette histoire de fouilles archéologiques et d’enquête pour retrouver une lycéenne et son professeur mystérieusement disparus, revêt une association peu orthodoxe entre un archéologue vieillissant et un adolescent. Tous deux, bien appareillés pour porter le film, foncent dans un enfer dantesque de situations ubuesques et monstrueuses où le sang jaillit à flot. De Tetsuo à Tokyo Fist, Tsukamoto aime faire couler l’hémoglobine, sans pour autant ici chercher à susciter le malaise. Le divertissement Hiruko est bon enfant.
L’énergie et la virtuosité technique sont sûrement les autres points communs entre ce divertissement dément et l’expérimental Tetsuo, qui reste toutefois bien au-dessus de cette adaptation de manga hanté par l’esprit de la déconne.
Hiruko the Goblin restera donc à part dans la filmographie de son auteur qui repartira vite réitérer ses exploits, toujours en couleur, dans un Tetsuo II plus attendu pour calmer les ardeurs de ses fans qui espéraient un peu plus de folie de ce Yokai flick qui ne manque pourtant pas d’extravagance.
Après un DVD chez Studio Canal en 2002, couplé avec Gemini (on notera la faute de frappe sur la jaquette puisque le film désormais s’intitule “Hiruko the Gobelin”), Hiruko the Goblin trouvera en 2024 une édition vidéo HD digne de ce nom via Carlotta qui a remis en France le cinéaste à la mode en extirpant nombre de ses classiques dans un coffret extrême paru en 2023. Objet de culte vite épuisé, évidemment.
© 2009 Keiko Kusakabe, Makotoya CO. LTD, Shinya Tsukamoto, Kauyu Theater © 2009 Daurio Morohoshi/Shueisha Tous droits réservés / All rights reserved
Le test blu-ray de Hiruko the Goblin
Hiruko the Goblin retrouve sa place sur le support physique français 22 ans après sa parution originelle chez Studio Canal. Cet inédit cinéma sur le territoire hexagonal profite pour l’occasion du savoir-faire de Carlotta. L’éditeur complète son offre autour de Shinya Tsukamoto, un an après un coffret 10 films de ses œuvres culte.
Packaging & Compléments : 3 / 5
Hiruko the Goblin jouit d’une édition standard pour un titre Carlotta. L’éditeur déploie un amaray noir et un slipcover forcément appréciés. Le visuel choisi est l’adaptation d’une affiche japonaise, à l’identique. Il évoque la forme d’un manga. Cela octroie à la série B un aspect bis pêchu appréciable.
En soi, au niveau des suppléments, l’édition 2024 d’Hiruko the Goblin n’est guère différente de celle de Studio Canal parue en 2002, avec la présence commune de la présentation de Jean-Pierre Dionnet (4 min) et d’archives assez brèves, donnant notamment la parole au cinéaste pour 13 minutes. Le moyen métrage de 40 min a lui disparu.
On estimera trop courts également les modules sur les effets spéciaux qui donnent la parole au responsable F/X, Takashi Oda. Ils restent à la surface de ce qui aurait bien mérité une plus grande introspection tant leur place est essentielle au cœur du projet.
Une bande-annonce figure également au menu de bonus superficiels; mais qui, au moins, habillent un minimum cette série B oubliée d’un Japon qui a beaucoup évolué dans le genre du fantastique dans les années 90, puis 2000.
L’image : 4 /5
La restauration 2K est un bel argument commercial qui se vérifie sur la galette. C’est propre, avec un piqué généreux et un investissement des couleurs et des noirs ad hoc. Du bon boulot.
Le son : 4 /5
Point de piste française. Le film n’a jamais été doublé et c’est tant mieux. Les otaku apprécieront. On retrouve donc le Mono d’époque réhaussé en DTS HD Master Audio. C’est a priori un peu déstabilisant car en 1991, quand le film a été réalisé, la Dolby Stéréo était légion. L’éditeur n’est donc nullement en cause. Cette piste, par ailleurs, bénéficie d’un équilibre louable entre affirmation vocale et positionnement de la piste musicale. Les éléments sonores parviennent à ressortir. On est donc largement satisfait.
© 2009 Keiko Kusakabe, Makotoya CO. LTD, Shinya Tsukamoto, Kauyu Theater © 2009 Daurio Morohoshi/Shueisha Tous droits réservés / All rights reserved