Harka est le tableau âpre et bouillonnant d’une Tunisie qui, plus de 10 ans après le Printemps arabe, reste engluée dans la misère et la corruption.
Synopsis : Ali, jeune tunisien rêvant d’une vie meilleure, mène une existence solitaire, en vendant de l’essence de contrebande au marché noir. À la mort de son père, il doit s’occuper de ses deux sœurs cadettes, livrées à elles-mêmes dans une maison dont elles seront bientôt expulsées. Face à cette soudaine responsabilité et aux injustices auxquelles il est confronté, Ali s’éveille à la colère et à la révolte. Celle d’une génération qui, plus de dix ans après la révolution, essaie toujours de se faire entendre…
Critique : Toute la journée, Ali (Adam Bessa) erre seul dans les rues. Le soir, il n’a pour domicile que les gravats d’un chantier abandonné. Pour survivre, il vend de l’essence de contrebande, sous les yeux de la police qui laisse faire à condition de toucher son pourcentage sur ce trafic. Et son quotidien se complique encore quand à la mort de son père, il doit non seulement prendre en charge ses petites sœurs mais aussi trouver l’argent nécessaire pour régler les dettes de ce géniteur inconséquent, dont il envisage de reprendre l’ancien emploi ce qui lui sera refusé, ne lui laissant, une fois encore que le choix du travail illégal. Ali rêve alors de l’Europe, loin de cette Tunisie incapable de lui offrir une vie décente.
Harka, la brûlure en arabe
Harka a deux significations en arabe. La première désigne, en argot tunisien, un migrant qui tente la traversée de la Méditerranée en bateau. La seconde se rapporte à l’action de brûler deux thèmes qui imprègnent ce drame intense du réalisateur americano-égyptien Lofty Nathan, remarqué en 2013 pour son documentaire 12 O’Clock Boys sélectionné dans plus de 50 festivals. S’il place son récit à Sidi Bouzid, là où l’auto-immolation de Mohamed Bouaziz servit de déclencheur au Printemps Arabe en Tunisie, il s’ interroge, de manière universelle, sur cette force du désespoir qui pousse certains individus à se sacrifier pour exprimer leur colère et même réclamer une reconnaissance collective pour ceux qui, bien malgré eux, se retrouvent pris au piège d’un système immoral.
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A mi-chemin entre le conte pour adultes modulé par la voix off de la petite sœur du héros, et la fiction aux accents politiques proche du documentaire, Harka réalise la prouesse de ne jamais sombrer dans la désolation totale grâce à une photographie lumineuse et à la vivacité d’une jeunesse tunisienne combative.
Adam Bessa, le magnétique
Malgré quelques facilités scénaristiques et le choix d’une musique redondante, les situations s’enchevêtrent habilement pour nous mener vers une tragédie que l’on pressent de plus en plus inéluctable. Enfin et ce n’est pas le moindre atout de ce film, l’authenticité jaillit au détour de chaque plan grâce à la présence magnétique d’Adam Bessa, un jeune comédien que l’on a pu voir dans Les Bienheureux de Sofia Djama et des blockbusters Netflix. Pièce maîtresse de ce récit abrupt, il est de tous les plans. Trouvant le juste équilibre entre sensibilité et rage, il dévoile toutes les nuances d’un être de bonne volonté impuissant face à des événements qui le submergent. Sa retenue, son combat et l’attention qu’il accorde à ses sœurs font de lui un personnage attachant, dont le jeu sans faille a séduit le jury de la section un certain Regard du dernier festival de Cannes qui lui a décerné le prix de la meilleure interprétation masculine.
Harka est une œuvre incandescente qui rappelle sans détours que, malgré la chute du régime dictatorial de Ben Ali, la Tunisie reste une nation profondément divisée, toujours en proie à une crise économique et sociale particulièrement pesante pour ses citoyens.
Sorties de la semaine du 2 novembre 2022
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