En abordant de manière intime la vie des Palestiniens en Israël, Fièvre méditerranéenne déjoue tous les pronostics et offre une histoire originale et inattendue. Intéressant et finement écrit.
Synopsis : Walid, 40 ans, Palestinien vivant à Haïfa avec sa femme et ses deux enfants, cultive sa dépression et ses velléités littéraires. Il fait la connaissance de son nouveau voisin, Jalal, un escroc à la petite semaine. Les deux hommes deviennent bientôt inséparables : Jalal est persuadé d’aider l’écrivain en lui montrant ses combines ; Walid, quant à lui, y voit l’opportunité de réaliser un projet secret…
Fièvre méditerranéenne aborde le quotidien des Palestiniens en Israël
Critique : Alors que Personal Affairs (2016), son tout premier long-métrage, évoquait l’enfermement des Palestiniens vivant en Israël, la cinéaste Maha Haj a souhaité traiter d’un sujet moins politique avec Fièvre méditerranéenne (2022), à savoir la dépression chronique. Ainsi, pour créer le personnage de Walid – parfaitement interprété par Amer Hlehel – la réalisatrice s’est beaucoup inspirée d’elle-même et de son sentiment permanent de mélancolie. Bien entendu, elle a intégré ce sentiment personnel au sein d’une intrigue purement fictive, mais qui finit, par ricochet, à refléter la situation vécue par de nombreux Palestiniens vivant dans la ville occupée d’Haïfa.
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La qualité principale de Fièvre méditerranéenne est de toujours aller là où on ne l’attend pas. Alors que l’arrivée du voisin bruyant incarné avec un beau premier degré par Ashraf Farah nous suggère d’abord un éventuel conflit de voisinage, la suite pouvait également s’orienter vers un feel good movie où les deux personnalités opposées finissent par construire une amitié forte afin de retrouver le goût de la vie. Autant de pistes terriblement prévisibles qui ne seront finalement pas abordées par une réalisatrice bien plus maline. En réalité, le film reste centré exclusivement sur le personnage de Walid et sur son obsession principale : celle de mourir. Même lorsque se dessine une fin tragique qui semblait parfaitement logique, Maha Haj a l’intelligence de la contourner et même de finir sur une note ironique savoureuse.
Derrière le drame personnel, une métaphore politique émerge
Outre ses développements narratifs inattendus, Fièvre méditerranéenne offre un point de vue politique intéressant qui échappe même au contrôle de la réalisatrice qui ne souhaitait pas faire de son œuvre un porte-drapeau. De manière très fine, le script peut pourtant se lire comme une métaphore de la situation de nombreux Palestiniens contraints de vivre sur les terres occupées par Israël. Ici, la ville de Haïfa sert de cadre au film car un tiers de ses habitants sont arabes et vivent d’ailleurs dans des quartiers moins bien rénovés que les arrondissements juifs.
Loin du martyrologe de certaines œuvres palestiniennes, Fièvre méditerranéenne suit pourtant la vie d’un homme qui vit de manière très décente et qui possède une famille aimante. Cependant, cela ne lui ôte pas de la tête le sentiment d’être enfermé dans un pays qui n’est plus le sien – Maha Haj rejoint ainsi la thématique abordée dans son premier essai de 2016.
Un film intéressant passé inaperçu
Lorsque le fils développe une sorte de phobie scolaire qui se traduit par de terribles maux de ventre, la solution au problème aura là aussi une forte dimension symbolique, entièrement liée à la remarque désobligeante d’une enseignante par rapport aux Palestiniens. Ainsi, la réalisatrice ajoute sa pierre à l’édifice, à chaque fois par des petites touches qui font mouche et décrivent une situation où l’avenir paraît bouché pour une partie de la population.
Très juste sur le plan psychologique, Fièvre méditerranéenne bénéficie d’une réalisation fluide et d’une ambiance parfaitement maîtrisée qui justifie pleinement son Prix du scénario obtenu dans la section Un certain regard à Cannes en 2022. Sorti au mois de décembre en France, le film n’a malheureusement attiré que 10 553 spectateurs sur la France entière, dont 5 745 entrées à l’issue de sa première semaine qui compte pour 54.4% de sa fréquentation totale. Ce très beau film est resté 8 semaines à l’affiche en France, obtenant un parc de 32 cinémas pour sa semaine 1. A Paris, il sera notamment exploité à l’UGC Ciné Cité Les Halles, où il trouvera plus de 1 000 curieux en première semaine. Il y restera à l’affiche moins de 15 jours. Il est donc temps de se rattraper en DVD ou VOD.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 14 décembre 2022
Voir le film en VOD
© 2022 Pallas Film – Still Moving – AMP Filmworks – Majdal Films / Affiche : Jeff Maunoury pour Metanoïa. Tous droits réservés.
Biographies +
Maha Haj, Amer Hlehel, Ashraf Farah, Anat Hadid
Mots clés
Cinéma palestinien, Le suicide au cinéma, La section Un certain regard à Cannes 2022