El Cochecito (La petite voiture) : la critique du film et le test blu-ray (1961)

Comédie | 1h25min
Note de la rédaction :
8/10
8
La petite voiture, affiche reprise restauration 2K

  • Réalisateur : Marco Ferreri
  • Acteurs : Chus Lampreave, José Isbert, José Luis López Vázquez, Maria Luisa Ponte
  • Date de sortie: 15 Fév 1961
  • Année de production : 1960
  • Nationalité : Espagnol
  • Titre original : El Cochecito
  • Titres alternatifs : La petite voiture (Titre ressortie vidéo et salle 2022, France), El cochecito: La vetturetta (Italie), Der Rollstuhl (Allemagne), A Motoreta (Portugal), Wózek (Pologne), Caruciorul (Roumanie)
  • Scénaristes : Rafael Azcona, Marco Ferreri
  • D'après le roman de : Rafael Azcona
  • Directeur de la photographie : Juan Julio Baena
  • Monteur : Pedro del Rey
  • Compositeur : Miguel Asins Arbó
  • Producteurs : Pere Portabella (sous le nom de Pedro Portabella)
  • Sociétés de production : Films 59, Portabella Film
  • Distributeur : Athos Films
  • Distributeur reprise : Tamasa Distribution
  • Date de sortie reprise : 6 avril 2022
  • Editeur vidéo : Tamasa (DVD, blu-ray, 2022)
  • Date de sortie vidéo : 21 octobre 2008 (DVD), 28 janvier 2022 (DVD, blu-ray, 2022),
  • Box-office France / Paris-Périphérie : 89 869 entrées / 55 130 entrées
  • Classification : Tous publics
  • Formats : 1.66 : 1 / Noir et blanc (35mm) / Mono
  • Festivals et récompenses : Sélection officielle hors compétition Venise 1960, Prix FIPRESCI à Venise 1960, Sant Jordi du Meilleur film et du Meilleur acteur, en 1961, Villeurbanne Festival Reflets du cinéma ibérique et latino-américain (2007)
  • Illustrateur / Création graphique : © Tous droits réservés / All rights reserved
  • Crédits : © Tamasa. Tous droits réservés / All rights reserved
Note des spectateurs :

Corrosif et jouissif, El Cochecito (La petite Voiture) a la méchanceté des meilleurs Ferreri. L’anecdote cruelle lui permet de se livrer à un jeu de massacre comme il les aimait.

Synopsis : Don Anselmo est un octogénaire en pleine forme. Il vit chez ses enfants et a pour seul ami Don Lucas, un invalide qui possède une petite voiture de handicapé motorisée. Don Anselmo décide qu’il aura lui aussi le même genre de petite voiture. Coûte que coûte.

Le cinéma espagnol de Marco Ferreri

Critique : Troisième film espagnol de Ferreri, El Cochecito (titre français de 1961) ou La petite Voiture (titre français de 2022), contient en germe beaucoup de son cinéma à venir, avec ce regard mordant qui va en caractériser l’essentiel : comme beaucoup plus tard dans I love you, il imagine, avec la complicité du romancier Rafael Azcona une histoire d’obsession dévorante et en déroule le fil jusqu’aux conséquences les plus extrêmes. Bien que restant dans le domaine de la comédie, le film décrit minutieusement un monde noir, un monde d’égoïsme généralisé où les valeurs sont inversées : Don Anselmo, le vieillard acariâtre dont Ferreri fait son anti-héros, souffre d’être ingambe et souhaiterait, à l’instar de son ami Lucas, disposer d’une petite voiture pour paralysés. Inversion des valeurs, puisque l’engin lui permettrait de suivre ses amis handicapés sur les chemins défoncés pour aller à la guinguette et cesserait de faire de lui un « inutile ». On croit entendre le rire du cinéaste face à cette moquerie d’une société où seuls les gens en marge s’amusent : ce sont eux qui chantent, eux qui dégustent des plats délicieux dans les arrière-cuisines. Se retrouver dans cette atmosphère joyeuse, c’est échapper à une famille envahissante, à un quotidien morne. De fait, les enfants et petits enfants de Don Anselmo sont affreux : bruyants, geignards et dénués d’affection. Son fils, l’avoué, tousse et se fait poser des cataplasmes quand il ne se fait pas prier pour donner de l’argent à son père ou son futur gendre ; il ne cesse de s’énerver tout en recommandant de rester calme. Sa petite-fille pleurniche mais, quand on envisage de placer Don Anselmo en asile, elle demande sa chambre. Et jusqu’à la bonne que le vieillard gêne. Visuellement, cette promiscuité douloureuse est traitée par des enfermements successifs (Anselmo ferme constamment des portes), des sur-cadrages et surtout par la récurrence d’un couloir exigu, lieu théâtral des explications, arpenté par des travellings soignés. Ferreri s’offre même le luxe de revisiter, consciemment ou pas, une scène des Marx Brothers (Une Nuit à l’Opéra) : la cabine de bateau se transforme en chambre envahie de multiples personnages.

La petite voiture de Marco Ferreri

© Tamasa Distribution

Des personnages antipathiques dans le rétroviseur d’un script corrosif

Si les personnages secondaires sont antipathiques, Anselmo n’échappe pas au regard corrosif du cinéaste : il se comporte comme un gamin capricieux et simule la maladie pour parvenir à ses fins. Grognon et plaintif, il est prêt à vendre les bijoux de sa femme alors qu’il les promettait à sa petite-fille. Mais il se fait berner par l’orthopédiste qui déclare pratiquer un « sacerdoce » alors qu’il est prêt à parler de gangrène pour vendre sa voiture ; ce commerçant sans vergogne va jusqu’à prophétiser qu’en l’an 2000, il n’y aura que les footballeurs qui marcheront. Encore ce regard décapant, signature de Ferreri, qui n’épargne pas grand monde : même le médecin, honnête sans doute, est ridicule ; il fait tirer la langue à la petite-fille et conseille une purge, à la manière des docteurs de Molière. Seul un paralytique semble échapper au jeu de massacre : quand sa fiancée le quitte, Ferreri lui offre un superbe plan où il est seul, sous la pluie. Et, peut-être pour contrebalancer les agissements de son héros négatif, il conclut presque le film par la réconciliation qu’organise Anselmo. Ce sera son seul fait d’armes : la conclusion, particulièrement noire, le renvoie à son égoïsme poussé à bout.

Les films de l’année 1961

Dans ce film obsessionnel, José Isbert est de quasiment tous les plans : incarnant à merveille Anselmo, il ne surjoue pas, même dans les séquences qui se prêteraient à un cabotinage éhonté. Il promène sa silhouette hésitante dans les rues désertes de Madrid et Ferreri signe en passant une description attentive de l’Espagne franquiste de l’après-guerre : peu d’acteurs, mais un arrière-plan constamment en mouvement, avec ces grandes artères vides et les cars de touristes. S’il soigne son image derrière une apparente désinvolture, il s’amuse également avec le son ; outre la petite musique sautillante, il use fréquemment d’un procédé qui rend compte de la confusion du monde : les dialogues sont parasités par d’autres dialogues, des bruits, des chansons diégétiques. De même préfère-t-il observer de loin les pantins qui s’agitent vainement, courant après des quêtes dérisoires : le seul vrai gros plan du film est sans doute dû à la censure franquiste. Aussi Ferreri en a-t-il fait une exception : on y voit Anselmo gagné par le remords. Mais ce plan, qui tranche nettement avec le reste, n’est pas final. Par une ruse espiègle, le cinéaste conclut son œuvre comme il l’avait commencé : avec une salutaire méchanceté.

François Bonini

Box-office d’El Cochecito :

El Cochecito est proposé par Athos Films sur Paris le 15 février 1961 sous son titre original et, fait assez rare à l’époque, en version originale. Le film espagnol est proposé dans deux cinémas, le Lord Byron et le Plaza. Il réalise alors 12 180 spectateurs, sur un total de 34 790 sièges disponibles. Parmi les grandes nouveautés de la semaine, Voluptés avec Gina Lollobrigida et Anthony Franciosa, réalise à peine 25 492 spectateurs dans 3 cinémas. Les 7 Mercenaires, en 2e semaine et 7 cinémas, est toujours numéro 1, avec 42 570 entrées, suivi par Le Grand Sam (41 177)…

En 2e semaine, El Cochecito se maintient bien, avec 11 490 spectateurs sur 2 écrans, pour une 15e place hebdo.

En 3e semaine, Marco Ferreri connaît une légère baisse de régime, avec 8 500 spectateurs et un total de 32 170 spectateurs. Un score des plus acceptables pour une œuvre espagnole en VO, sans stars.

La 4e semaine d’exploitation de La petite voiture est caractérisée par la perte de l’un de ses deux écrans. Désormais uniquement projeté au Lord Byron, la comédie trouve encore 4 800 conducteurs.

En 5e semaine, le film européen réalise 3 950 spectateurs sur la capitale. Au final, El Cochecito y finira sa carrière à 55 130 spectateurs. La France, peu ouverte aux films en version originale, ne pourra lui offrir guère plus, avec 89 869 spectateurs sur l’ensemble du territoire. On subodore que les Provinciaux devaient être proches de la frontière espagnole.

Les sorties de la semaine du 15 février 1961 

Sorties de la semaine du 6 avril 2022

La petite voiture, affiche reprise restauration 2K

Affiche reprise 2022 © Tamasa Distribution

Le test Blu-ray :

Sortant en vidéo, blu-ray et DVD deux mois avant sa ressortie en salle, prévue pour avril 2022, La petite voiture est une œuvre rare qui méritait d’être rappelée à notre mémoire. 

Complément et packaging : 4/5

En dehors de deux films annonce (Le Lit conjugal et Le Mari de la femme à barbe), le Blu-ray propose un entretien avec Gabriella Trujillo : elle y examine les liens entre le film et le néo-réalisme, puis le rapproche du réalisme espagnol, fait de grotesque et de tragique. Son analyse de la « puissance formelle » ou du personnage d’Anselmo est passionnante.

L’image : 3.5/5

La restauration, bien réelle, montre ses limites : l’image est parfois légèrement instable et manque de contrastes. Néanmoins, le confort visuel est satisfaisant.

Son : 3.5/5

Comme pour l’image, le son reflète l’âge du film : selon les séquences, il est plus ou moins clair, plus ou moins étouffé. Les dialogues (seulement en VO sous-titrés) sont constamment audibles, sans souffle ni scories.

François Bonini

El Cochecito (la petite voiture), blu-ray

2022 © Tamasa Distribution

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