A mi-chemin entre film d’exploitation et vision d’auteur, Cérémonie sanglante enthousiasme à plusieurs titres grâce à un script malin, une réalisation ambitieuse et une ambiance perverse qui séduira les amateurs de cinéma déviant.
Synopsis : Hongrie, au début du XIXème siècle, la comtesse Erzebeth Bathory se morfond dans son château, tiraillée entre le sentiment d’abandon de son époux le marquis et sa peur de vieillir. Découvrant par hasard que quelques gouttes de sang sur sa peau l’ont rajeunie, elle va faire assassiner des jeunes vierges et se baigner dans leur sang.
Critique : Au début des années 70, alors que le cinéma gothique est progressivement sur le déclin, une vague de films s’empare de la légende de la comtesse Bathory afin d’exploiter son capital sulfureux. Pour mémoire, cette représentante de l’aristocratie hongroise du 17ème siècle a fait l’objet d’un retentissant procès où elle fut accusée d’avoir assassinée des dizaines de jeunes femmes afin de se servir de leur sang de vierge pour conserver sa jeunesse. Bien évidemment, cette histoire tient davantage de la légende populaire que de la véracité historique. Cela importe peu à la Hammer qui livre en 1971 une Comtesse Dracula (Peter Sasdy) de piètre envergure. On lui préfère largement le magnifique Lèvres rouges d’Harry Kumel qui déplace l’intrigue à l’époque contemporaine. Toutefois, le métrage le plus intéressant, mêlant à la fois approche horrifique et historique, est sans aucun doute ce Cérémonie sanglante qui est disponible pour la toute première fois en France grâce à l’éditeur Artus Films.
Jorge Grau livre une vision cartésienne d’une légende
Ce long-métrage espagnol a été tourné par Jorge Grau, que les amateurs de fantastique connaissent bien pour avoir été l’auteur l’année suivante du formidable Massacre des morts-vivants (1974), sorte de chaînon manquant entre Le Jour des Morts-vivants et Zombie. Ici, le réalisateur prend le parti de n’aborder le thème fantastique que sous l’angle le plus réaliste possible. Accusée de vampirisme, la Bathory n’est rien d’autre qu’une aristocrate désirant plaire à son époux déviant. Dès lors, le couple pervers exploite les peurs ancestrales du petit peuple afin de servir leurs intérêts. Puisque les paysans craignent les vampires, il suffit d’un petit tour de passe-passe pour mettre tous leurs crimes sur le dos d’une entité maléfique. Cette approche plus réaliste n’empêche nullement le cinéaste de plonger tête la première dans la folie criminelle de ce couple maudit.
Un beau film d’exploitation qui ose s’en prendre à la société franquiste
Conscient de livrer un produit d’exploitation, le réalisateur ose faire couler le sang de manière abondante, tout en insistant sur la perversité du couple. Une certaine nudité se retrouve également dans les copies internationales du film, malheureusement la copie restaurée vient d’un master espagnol bien plus prude. Il faudra donc se contenter des scènes alternatives en bonus pour goûter pleinement la déviance des personnages principaux. Mais Cérémonie sanglante ne peut aucunement se résumer à un film d’exploitation qui surferait avec complaisance sur le thème à la mode du vampirisme et de l’Inquisition. L’approche du réalisateur s’avère plus fine et quelques notations dans les dialogues tendent à établir un comparatif entre cette classe sociale aristocratique qui vampirise les plus pauvres et le régime franquiste en place.
Le film peut dès lors se lire à l’aune de la situation de l’Espagne des années 70, un peu comme dans le cas de La résidence, chef d’œuvre du gothique espagnol datant de 1969. Le couple assassin serait à l’image des dirigeants nationalistes du pays, dissimulant leurs crimes aux yeux d’une population exsangue et incapable de réagir. Cette interprétation rend le métrage encore plus intéressant par son sous-texte audacieux. Toutefois, l’amateur de cinéma bis et déviant doit impérativement visionner ce long-métrage très rare par la beauté de ses images, la classe de sa réalisation, ainsi que l’interprétation sans faille de l’impériale Lucia Bosé. On adore son mépris hautain envers son entourage et son absence totale de remords. Son duo avec l’inquiétant Espartaco Santoni est assurément un grand moment de cinéma. Enfin signalons la présence de la starlette suédoise Ewa Aulin qui assure plutôt bien en proie désirable.
Marqué par une sexualité très présente, mais comme réprimée par la censure de l’époque, Cérémonie sanglante est une vraie découverte qui prouve la richesse du cinéma de genre européen, dont tout un pan reste encore à exhumer, pour notre plus grand bonheur.
Le test du Mediabook :
Compléments & packaging : 4/5
Tout d’abord, le Mediabook est de toute beauté, se présentant au format livre, avec en son centre un bouquin de 64 pages écrit par Didier Lefèvre. Si le livre est moins fourni que les autres mediabook Artus en matière de texte, il fourmille de documents visuels, affiches et photos d’exploitation entre autres. Sur la galette elle-même, Alain Petit revient durant 21min sur l’histoire de la comtesse Bathory et ses adaptations filmiques, mais aussi sur la carrière de Jorge Grau, cinéaste disparu en décembre 2018 et dont il faudra encore découvrir les œuvres chez nous, la plupart restant inédites. Enfin, il nous livre des renseignements factuels sur les acteurs principaux, avec sa bonhomie habituelle et son amour inconditionnel du genre. Outre la bande-annonce et un diaporama d’affiches, l’éditeur propose également dix minutes de scènes supplémentaires qui correspondent aux scènes alternatives plus déshabillées destinées au marché international, moins à cheval sur la censure que le gouvernement franquiste. Si elles font plonger le film dans l’exploitation pure et simple, on peut regretter qu’elles ne soient pas intégrées au métrage finalisé et restauré.
L’image du blu-ray : 4/5
Superbe restauration en 2K pour une œuvre qui n’a jamais eu les honneurs d’une sortie française, ni au cinéma, ni en vidéo. L’image est magnifiquement définie tout en conservant un léger grain cinéma, tandis que les couleurs sont magnifiques et clinquantes, avec un rouge éclatant. L’ensemble est donc d’excellente tenue et rend parfaitement hommage au splendide travail d’éclairage effectué.
Le son du blu-ray : 3,5/5
Inutile de chercher une piste française puisque le long-métrage n’a jamais été doublé. L’unique piste espagnole en mono DTS HD Master Audio est d’une belle puissance, même si elle a tendance à saturer un petit peu lors des quelques envolées musicales de Carlo Savina. Rien de rédhibitoire toutefois et l’ensemble offre un vrai confort d’écoute pour une œuvre de cette époque.
Critique du film et test du Mediabook : Virgile Dumez