Bonne mère, deuxième long de l’actrice Hafsia Herzi, est une évidence de simplicité, d’authenticité et de sincérité. Les quartiers nord de Marseille vus avec mélancolie par une auteure qui a vécu de l’intérieur la générosité méconnue de ce microcosme de misère sociale.
Synopsis : Nora, la soixantaine, femme de ménage de son état, veille sur sa petite famille dans une cité des quartiers nord de Marseille. Après une longue période de chômage, un soir de mauvaise inspiration, son fils aîné Ellyes s’est fourvoyé dans le braquage d’une station-service. Incarcéré depuis plusieurs mois, il attend son procès avec un mélange d’espoir et d’inquiétude. Nora fait tout pour lui rendre cette attente la moins insupportable possible…
Au travers des Oliviers
Critique : Pour son second long métrage en tant que réalisatrice, après Tu mérites un amour (2019), la muse du cinéma indépendant français, Hafsia Herzi (La graine et le mulet d’Abdellatif Kechiche, L’Apollonide : Souvenirs de la maison close de Bertrand Bonello), propose un projet qu’elle a nourri pendant plus de dix ans. Une œuvre personnelle, ancrée dans son expérience sociale et familiale – sans pour autant être autobiographique -, dont elle a écrit le scénario complexe, aux personnages multiples, mais toujours passionnants, pendant de longues années, en attendant que des producteurs curieux s’intéressent enfin à cette pauvreté marseillaise autrement qu’à travers le prisme de la délinquance et de la violence (voir BAC nord, distribué un mois plus tard de la même année).
La chronique des quartiers nord de Marseille, au sein de la cité des Oliviers, notoire pour ses trafics de drogue et ses règlements de comptes, est apaisante de par son personnage central, une mère courage à la vie de sacrifice, qui se lève aux aurores pour essayer de faire vivre sa famille et surtout sortir son fils de prison.
A hauteur de femme
Le personnage de la Bonne mère – autre lecture, celle de la mère qui sert de “bonne” -, est interprétée, à l’instar de tous les personnages, par une habitante du quartier, une actrice non professionnelle du nom d’Halima Benhamed. Elle habite le film par ses errances, toujours périphérique au monde, isolée quand beaucoup l’entoure, notamment sa bruyante famille, aux engueulades cocasses. Figure matriarcale d’une grande beauté, la tête toujours haute, elle se montre néanmoins toujours triste, perdue dans ses pensées.
L’actrice et la “Bonne mère” ne font plus qu’une apportant un caractère de docu-fiction à une narration pourtant authentiquement fictive, mais qui se veut vraie dans tout ce qu’elle raconte, de par l’expérience de la réalisatrice, dont la maman elle-même, ancienne femme de ménage, s’élève au rang de mère courage.
Halima Benhamed dans Bonne mère © 2021 Photo Guy Ferrandis /SBS Productions Tous droits réservés / All rights reserved
Loin des clichés des médias conservateurs
Filmant les invisibles avec bonté, générosité, Hafsia Herzi ne porte aucun jugement. Au contraire, l’auteure partage un amour pour une population dont elle reconnaît la valeur, souillée par une actualité parallèle à la sortie du film, qui a permis aux médias conservateurs français de prospérer sur du sensationnel, et à Eric Zemmour d’envahir les espaces médiatiques. Même Macron s’invitera dans la cité fosséenne pour déployer son grand plan Marshall.
Après le traitement sensationnel accordé à Marseille en 2021 par des médias déchaînés, le film cannois, primé à Un Certain Regard, offre un regard assainissant sur des personnalités diverses qui cohabitent dans des blocs repliés sur eux-mêmes et qui nous sont donc méconnus, avec un amour palpable à l’égard d’êtres périphériques, qui méritent bien pareil traitement.
Une démarche apaisante
Formidablement interprété par Halima Benhamed, Bonne mère apaise, sans donner de solution. La peinture brossée de cette misère sociale, somme toute universelle, celle des quotidiens difficiles pour des familles aux abois et sans espoir, nous touche dans sa mélancolie et la force de la caméra qui ne nous épargne pourtant pas la dure réalité de la criminalité. Au moins, est-elle traitée sans misérabilisme, voyeurisme et manichéisme, toujours à hauteur de l’humain.
Oui, il y a bien de la noblesse et de la dignité dans ce bas monde.
Box-office : une victime du pass sanitaire
On regrettera seulement que ce beau film soit apparu sur les écrans lors de la mise en place du pass sanitaire, durant le mois de juillet 2021, détruisant toutes ses chances au box-office. Le distributeur et la réalisatrice ont été pris de court et ne pouvaient plus différer la sortie, calée juste après l’édition estivale du festival de Cannes, où Bonne mère était présenté. La distribution s’est accomplie, à une période d’embouteillage sur les écrans, quand le public cible n’était pas encore revenu en salle, dans l’indifférence généralisée d’un public en vacances et réfractaire à des mesures soudaines qui ont vidé les salles de façon abruptes. Il faudrait attendre septembre pour revoir une progression de la fréquentation. Ce très beau récit arrêtera sa carrière sous les 30 000 entrées. Heureusement, un DVD et la VOD permettent aujourd’hui une vraie séance de rattrapage.
Les sorties de la semaine du 21 juillet 2021
© 2021 SBS Productions – Arte France Cinéma / Photo © 2021 Guy Ferrandis / SBS Productions / Design : Benjamin Seznec / Troïka