Beau portrait de trois femmes, All We Imagine as Light parvient à un véritable état de grâce dans sa deuxième partie plus poétique et contemplative. Un Grand Prix cannois largement mérité.
Synopsis : Sans nouvelles de son mari depuis des années, Prabha, infirmière à Mumbai, s’interdit toute vie sentimentale. De son côté, Anu, sa jeune colocataire, fréquente en cachette un jeune homme qu’elle n’a pas le droit d’aimer. Lors d’un séjour dans un village côtier, ces deux femmes empêchées dans leurs désirs entrevoient enfin la promesse d’une liberté nouvelle.
Un premier film d’auteur coproduit par l’Union Européenne
Critique : Projet initié en 2019, All We Imagine as Light a connu bien des vicissitudes en matière de production. Effectivement, sa réalisatrice Payal Kapadia n’a alors que des courts métrages à son actif et son film d’auteur qui s’annonce exigeant fait peur aux financiers indiens. Elle se tourne alors vers la France et parvient à prendre contact avec la société Petit Chaos qui tente de monter une ambitieuse coproduction européenne. Entre-temps, les deux partenaires s’entendent pour tourner le documentaire Toute une nuit sans savoir (2021) qui rassure les éventuels partenaires sur les capacités de cinéaste de Payal Kapadia.
© 2024 Condor Distribution SAS. Tous droits réservés – © 2024 Petit Chaos, Chalk & Cheese, Baldr Film, Les Films Fauves, Arte France Cinémas
Le projet finit par aboutir en 2023, avec une importante participation de pays européens pour boucler le budget (la France, la Belgique, les Pays-Bas, l’Italie, la Suisse et le Luxembourg). Ainsi, le tournage a pu débuter à Mumbai pendant la saison de la mousson, d’où l’ambiance pluvieuse de la première partie du film. Marquée par une esthétique bleutée très marquée, cette première partie de All We Imagine as Light est tout autant le portrait de trois femmes que celui d’une ville tentaculaire.
Mumbai, personnage à part entière de la première partie
Personnage à part entière, la mégapole de Mumbai est filmée dans toute sa singularité, avec cette importante mixité sociale et son cosmopolitisme. Avec ses 21 millions d’habitants, la ville nous est présentée comme un monde à part entière, avec sa profusion de commerces, de marchés, ses routes encombrées et sa population grouillante. C’est dans un quartier quelque peu délabré que Payal Kapadia nous invite à suivre le destin de trois femmes bien différentes, mais qui vont s’entraider.
Tout d’abord, Prabha (très juste Kani Kusruti) est une infirmière dévouée à son métier, d’autant que son mari est parti travailler depuis plusieurs années en Allemagne et qu’elle demeure sans nouvelles de lui. Pourtant, respectueuse des traditions, cette femme mariée de force, respecte son vœu et s’interdit tout écart, malgré les sollicitations d’un collègue apparemment fort gentil. Sa colocataire Anu (solaire Divya Prabha) est plus jeune qu’elle, mais est amoureuse en secret d’un jeune homme nommé Shiaz.
Des amours contrariés par la société et la religion
Si elle est hindouiste, lui est musulman, ce qui ne peut qu’être source d’ennui pour ce couple d’amoureux qui ne peut se voir qu’en cachette. Leur amour sincère et pur se fracasse donc sur le mur de l’intolérance religieuse. Enfin, la voisine Parvaty (jouée par Chhaya Kadam) est une veuve qui va être chassée de son appartement par des promoteurs souhaitant rénover le quartier sous l’effet de la gentrification de Mumbai.
Dans cette première partie, All We Imagine as Light saisit surtout par sa dimension documentaire à propos d’une mégapole tentaculaire, tout en développant un discours féministe qui n’exclut jamais les hommes de l’équation. Car eux aussi sont victimes d’un système social qui les contraint à épouser des inconnues pour des raisons de religion ou de caste.
Une deuxième partie plus solaire, contemplative et onirique
Toutefois, le long métrage bascule au bout d’une heure en suivant le retour au village de Parvaty, accompagnée pour l’occasion par ses deux amies. Dès lors, All We Imagine as Light change de tonalité, avec des images plus lumineuses et un rythme plus lent et contemplatif, plus en accord avec la langueur du lieu de villégiature, un petit village de bord de mer. Mais c’est aussi le moment où ces trois femmes vont opérer des choix fondamentaux pour leur vie future, où la sensualité des corps va enfin pouvoir pleinement s’exprimer. Le tout est souligné par une superbe musique au synthétiseur qui enveloppe le spectateur dans un cocon savoureux.
© 2024 Condor Distribution SAS. Tous droits réservés – © 2024 Petit Chaos, Chalk & Cheese, Baldr Film, Les Films Fauves, Arte France Cinémas
Pour couronner le tout, le film se termine dans une ambiance onirique, avec la présence fantomatique du mari parti en Allemagne. Cela renforce un peu plus l’aspect poétique d’un film qui n’a cessé de nous transporter d’une émotion à l’autre, avec une rare habileté pour un tout premier long métrage de fiction. Avec son final apaisé, mais tout simplement beau, Payal Kapadia achève une œuvre comme en état de grâce permanent.
Un grand Prix cannois largement mérité
D’ailleurs, le jury du Festival de Cannes 2024 ne s’y est pas trompé en décernant au long métrage son Grand Prix, une première pour un film d’origine indienne. Pour notre part, on lui aurait bien décerné la Palme d’or tant le drame apparaît comme un modèle d’équilibre. Le jury lui a préféré Anora (Sean Baker). Superbe film féministe qui est aussi un magnifique manifeste pour la tolérance religieuse, All We Imagine as Light évite tous les pièges du film à thèse et s’impose donc comme une œuvre de premier plan.
Box-office français et international de All We Imagine as Light
Sorti en salles à partir du 2 octobre 2024 par le distributeur Condor, le drame féministe est positionné dans 185 salles et obtient un résultat très encourageant de 69 491 entrées pour son investiture. En deuxième semaine, le distributeur soutient son poulain en montant à 225 copies, ce qui n’enraille pas une chute de 54 % des entrées avec 31 918 retardataires et un franchissement très symbolique de la barre des 100 000 spectatrices.
Pour sa troisième septaine, le film se stabilise et glane 23 025 féministes de plus, tandis que la quatrième semaine confirme avec encore 16 551 candidates supplémentaires. En sixième semaine, All We Imagine as Light franchit la barre des 150 000 entrées et sera ensuite programmé jusqu’à la fin du mois de janvier 2025 pour un total très favorable de 167 589 tickets vendus.
Sur le plan international, la France est donc le deuxième marché du film juste derrière les Etats-Unis. Il faut également préciser que long métrage n’a pas été diffusé dans les salles indiennes, mais a été proposé directement sur internet. Signe que les mentalités ont encore du chemin à parcourir avant que la société indienne accepte certaines idées plus progressistes.
Sa belle performance française s’est traduite par l’édition d’un DVD et d’un blu-ray, toujours chez Condor, son heureux distributeur.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 2 octobre 2024
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Payal Kapadia, Kani Kusruti, Divya Prabha, Chhaya Kadam
Mots clés
Cinéma indien, Portraits de femmes, La condition des femmes dans le monde, Film féministe, Festival de Cannes 2024