Adam est un magnifique premier film marocain, porté par des actrices formidables et de beaux personnages. Féministe, mais qui évite l’écueil du militantisme sans nuance.
Synopsis : Dans la Médina de Casablanca, Abla, veuve et mère d’une fillette de 8 ans, tient un magasin de pâtisseries marocaines. Quand Samia, une jeune femme enceinte frappe à sa porte, Abla est loin d’imaginer que sa vie changera à jamais. Une rencontre fortuite du destin, deux femmes en fuite, et un chemin vers l’essentiel.
Un premier film sur la situation des femmes seules au Maroc
Critique : Journaliste, scénariste, actrice et réalisatrice, la Marocaine Maryam Touzani est également la compagne du réalisateur Nabil Ayouch avec qui elle a collaboré sur Much Loved (2015) et Razzia (2017), deux œuvres qui s’intéressaient déjà à la condition féminine au Maroc. Cette fois-ci, Maryam Touzani a choisi d’évoquer dans son script un épisode de sa jeunesse, lorsque ses parents ont recueilli chez eux une jeune femme enceinte et célibataire.
Effectivement, au Maroc, comme dans nombre d’autres pays, les jeunes filles qui ont le malheur de tomber enceinte sans avoir d’époux sont rejetées par la société, considérées comme des filles faciles et des prostituées. C’est donc le cas de Samia, beau personnage de ce tout premier long-métrage produit par Nabil Ayouch. On ne saura rien de son parcours personnel, mais on peut en constater le résultat par ce ventre rond qui annonce la venue d’un petit être non désiré. Abandonnée de tous, Samia erre par les rues en attendant d’accoucher et de faire adopter ce rejeton encombrant afin qu’elle puisse retourner la tête haute dans son village d’origine.
Adam ou la condamnation d’une société marocaine patriarcale
En attendant, elle cherche un havre de paix au cœur de la médina de Casablanca, décrite comme un lieu foisonnant, mais peu adapté à la situation. Par l’entremise de la petite Warda, Samia est finalement recueillie pour une nuit par Abla – magnifique Lubna Azabal. Alors que les deux femmes semblent peu faites pour s’entendre, une forme de complicité va peu à peu se nouer entre ces deux destins cabossés. Ces trois femmes de générations différentes – une veuve, une jeune célibataire enceinte et une gamine d’une dizaine d’années – sont finalement représentatives de la situation contrastée des femmes au Maroc, entre soumission et émancipation.
Toutefois, la grande qualité de ce premier long-métrage est de ne jamais se faire théorique ou explicatif. Si la réalisatrice entend développer des idées féministes, elle ne brandit pas d’étendard et préfère rester à la hauteur de ses personnages. Elle n’exclut pas non plus le genre masculin de son champ de vision puisque le seul homme présent à l’écran est un être doux, gentil et attentionné. Par contre, elle évoque hors-champ une société patriarcale corsetée qui n’accepte pas l’indépendance des femmes. Habilement, Maryam Touzani n’accuse donc pas aveuglément tous les hommes individuellement, mais bien une société organisée par et pour les hommes.
La maternité décrite dans toute sa beauté
Le cœur du film est constitué par ce lien progressif noué entre deux femmes marquées par des histoires personnelles compliquées. La réalisatrice parvient à en dire beaucoup sur ses personnages en évitant les tunnels dialogués. Elle préfère observer leurs gestes quotidiens et privilégie les échanges de regards, avec une grande économie de moyens qui finit peu à peu par bouleverser. Elle arrive même à signer des séquences d’une grande beauté lors du dernier quart d’heure.
Après l’accouchement, Samia refuse initialement de s’occuper du bébé qu’elle espère abandonner. Lorsqu’elle finit par craquer, sa découverte des premiers gestes maternels donnent lieu aux plus belles scènes du film. Ainsi, Maryam Touzani tourne des plans magnifiques entre l’actrice Nisrin Erradi et le bébé, à la fois d’une grande tendresse, mais également lourds de menace quand on doute des intentions de la jeune femme. Ce dernier quart d’heure atteint une sorte de perfection qui rend à la fois un bel hommage à toutes les mères du monde et dégage un parfum d’optimisme. Et si le petit Adam – petit bébé au nom biblique – était bien le premier homme d’un monde nouveau, qui respecterait enfin les femmes ?
Sorti au début du mois de février 2020, peu avant le début du confinement lié à la Covid-19, ce très beau premier film méritait une audience plus importante. Il est donc temps de se rattraper avec la sortie d’Adam en DVD.
Critique de Virgile Dumez