Réflexion sur la vieillesse et le temps qui passe, Abuela est un film d’horreur original particulièrement anxiogène grâce à une ambiance mortifère. Paco Plaza sonde nos peurs primales avec brio et signe son meilleur film à ce jour.
Synopsis : Susana, un jeune mannequin espagnol, est sur le point de percer dans le milieu de la mode parisien. Mais quand sa grand-mère est victime d’un accident la laissant quasi paralysée, Susana doit rentrer à Madrid dans le vieil appartement où elle a grandi afin de veiller sur celle qui constitue son unique famille. Alors qu’approche leur anniversaire commun, de vieux souvenirs resurgissent en parallèle d’événements étranges, et le comportement de sa grand-mère devient de plus en plus inquiétant…
La vieillesse, terrain idéal du film d’horreur ?
Critique : Inspiré par le sort d’une grand-tante qui a souffert de la maladie d’Alzheimer, le cinéaste Paco Plaza souhaitait créer un film d’horreur où le monstre serait en réalité la vieillesse. Une excellente idée qu’il ne se voyait pas concrétiser seul et qu’il a finalement confiée aux bons soins de Carlos Vermut (par ailleurs réalisateur de l’excellent La niña de fuego en 2014). Ce dernier a signé un scénario brillant qui a pourtant beaucoup évolué en cours de tournage puisque les sept semaines nécessaires aux prises de vue ont été effectuées durant la pandémie de Covid-19. Dès lors, impossible de tourner dans une maison de retraite comme initialement prévu et les auteurs ont dû se rabattre sur un appartement réel.
Pour Abuela, Paco Plaza a encore compliqué la donne en exigeant de tourner en pellicule 35mm et non en numérique, ce qui a impliqué un surcoût et une coproduction avec la France et la Belgique. C’est toutefois ce travail sur la lumière qui permet au long-métrage de scruter avec autant d’intensité les ténèbres d’un appartement particulièrement angoissant. Car la grande force d’Abuela est qu’il s’agit d’un film qui fait vraiment peur à partir d’une histoire apparemment non horrifique. Certes, le spectateur est mis sur la piste d’une intrigue fantastique centrée sur le désir de rester éternellement jeune, mais cela n’intervient que très tardivement.
Abuela refuse les effets faciles
Refusant les effets faciles et les jump scares, Paco Plaza réussit l’exploit de rendre horrifique la situation de cette jeune mannequin – superbe Almudena Amor – contrainte de venir s’occuper de sa grand-mère incapable de vivre seule. D’abord heureuse de pouvoir se sentir utile à cette mamie qu’elle adore, la jeune Susana va peu à peu se rendre compte du caractère anxiogène de devoir s’occuper d’une personne âgée qui peut mourir d’un instant à l’autre, parfois simplement en s’étouffant. Pour incarner cette grand-mère mutique mais au regard inquiétant, Paco Plaza a fait appel au mannequin Vera Valdez qui fut pendant longtemps l’égérie de la maison Chanel dans les années 50. La vieille dame joue merveilleusement bien et s’avère très flippante, même lorsqu’elle sourit.
Abuela, de Paco Plaza © 2022 Wild Bunch
Par la description lente et attentive de la difficulté de s’occuper d’une personne entièrement dépendante, Paco Plaza arrive à précipiter la jeune fille saine d’esprit au bord de la folie. Il ose même évoquer un sentiment partagé par tous ceux qui ont eu à subir cette épreuve : le désir coupable et profond de souhaiter la mort de l’être aimé, afin de pouvoir retrouver un semblant de vie normale. Autant dire que Abuela n’est pas un film facile et qu’il déploie une ambiance morbide qui est loin d’être divertissante. Cependant, Paco Plaza aborde le cinéma horrifique d’une manière vraiment originale, par le prisme d’une vision d’auteur dramatique puisant aux sources de nos angoisses primales : la peur de vieillir, mais aussi celle de la décrépitude.
Abuela nous confronte avec force à notre propre finitude
Bien entendu, la dernière demi-heure est sans doute plus attendue avec une résolution très noire, mais dont on pressent les implications bien avant qu’elles ne soient révélées. Peu importe puisque Abuela a réussi un pari très difficile qui est de faire réfléchir le spectateur tout en le malmenant avec des séquences dérangeantes liées à notre propre finitude. Brillamment agencé sur le plan narratif, très bien interprété et réalisé avec talent, Abuela est sans aucun doute le film le plus ambitieux de son auteur et également son meilleur à ce jour.
Présenté dans plusieurs festivals, Abuela a remporté le Prix du jury au Festival de Gérardmer en 2022 et a même reçu deux nominations aux Goyas. Malheureusement, le long-métrage n’a pas remporté un grand succès dans les salles à sa sortie en France en avril 2022. Ils n’ont effectivement été que 95 464 spectateurs à faire le déplacement dont 32 002 Parisiens, et ceci malgré des critiques plutôt positives. Les cinéphiles peuvent encore se rattraper depuis le mois d’août avec la sortie du long-métrage en vidéo. On le conseille vivement.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 6 avril 2022
Acheter le film en blu-ray
Voir le film en VOD
© 2021 Les Films du Worso – Apache Films – La Abuela Apache, A.I.E. / Affiche : Monsieur X. Tous droits réservés.
Biographies +
Paco Plaza, Almudena Amor, Vera Valdez, Karina Kolokolchykova